Eolien et biodiversité : Natagora se trompe-t-elle de combat ?

Quoi qu’elle en dise, l’association Natagora s’oppose au développement éolien en Wallonie. Un dogmatisme qui irrite les coopératives citoyennes actives dans l’éolien. Car cette filière peut à la fois protéger la biodiversité locale et répondre au défi climatique.

L’association Natagora, bien connue du public belge, a pour but de protéger la nature, plus particulièrement en Wallonie et à Bruxelles. Avec un grand objectif : “enrayer la dégradation de la biodiversité et reconstituer un bon état général de la nature, en équilibre avec les activités humaines.”

Cela tombe bien : c’est l’un des plus grands défis auxquels l’humanité est confrontée.Selon la communauté scientifique internationale, “environ 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction, notamment au cours des prochaines décennies, ce qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité.” (lire le rapport du GIEC consacré à la biodiversité).

Le changement climatique constitue l’une des principales menaces pour la survie des animaux et des humains. Or il est encore temps d’agir, notamment par l’abandon progressif des énergies fossiles – très émettrices de gaz à effet de serre – et par la transformation de nos économies vers un système bas carbone et 100 % renouvelables.

Partout dans le monde, des citoyens, des acteurs économiques et des territoires s’engagent dans cette transition énergétique, afin de rétablir l’équilibre entre les activités humaines et les ressources de la Terre.

En Wallonie, de nombreuses coopératives citoyennes développent ainsi des productions locales d’énergie éolienne, photovoltaïque, hydraulique ou biomasse.

Et c’est ici que Natagora mène un curieux combat contre l’éolien, au nom de la protection locale des oiseaux et chauve-souris.

Une cause minime de mortalité

Rappelons d’abord que les éoliennes constituent une cause minime d’accidents mortels chez les oiseaux. Des études ont ainsi montré que la mortalité des oiseaux et la destruction des nids sont principalement dues aux chats et aux collisions mortelles avec les fenêtres, les véhicules et les lignes à haute tension (graphique ci-dessous).

Calvert Am et al., « Synthèse des sources de mortalité aviaire d’origine anthropique au Canada », Avian Conservation and 16 Ecology, 2013.

Cependant, certaines espèces ne perçoivent pas l’éolienne en rotation comme un danger et risquent donc d’entrer en collision. Il faut donc leur accorder une attention particulière.

En Wallonie, le cadre légal a fortement évolué ces dernières années et les développeurs éoliens ont l’obligation légale de mettre en oeuvre trois types de mesures :

1) des mesures d’évitement (construction du parc éolien hors des périodes de nidification, par exemple),

2) des mesures d’atténuation (arrêt temporaire des éoliennes à certains moments, par exemple),

3) des mesures de compensation (plantations de haies, de prés fleuris, installation de plans d’eau, …). Pour chaque projet éolien, plusieurs dizaines d’hectares sont désormais affectés à la biodiversité, si bien que certaines zones du territoire wallon se retrouvent avec une biodiversité locale plus riche après l’installation d’un parc éolien qu’avant. La Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux a d’ailleurs publié une enquête intitulée L’incroyable attractivité des zones compensatoires implantées en Hesbaye.

Pour mieux connaître les mesures de protection des oiseaux et chauve-souris, nous vous invitons à lire la brochure Eolien : rumeurs et réalités, réalisée par l’APERe, association pour la promotion des énergies renouvelables, et par Rescoop Wallonie, fédération des coopératives citoyennes de productions renouvelables.

Par ailleurs, la filière éolienne innove constamment pour réduire son impact. Lire à ce propos nos articles :

Les éoliennes s’adaptent aux oiseaux et chauves-souris

Eoliennes : des ultrasons pour mieux protéger les chauves-souris

Les oiseaux évitent mieux les éoliennes peintes en noir

Si le cadre actuel du développement éolien en Wallonie est parfois critiquable et nécessiterait d’être mieux harmonisé (lire notre article L’éolien wallon se cherche un avenir plus serein), force est de constater qu’il est plutôt exemplaire en matière de protection de la biodiversité locale.

En Wallonie, chaque projet éolien a l’obligation légale de prévoir des mesures de compensation, si bien que l’avifaune peut devenir plus riche après l’installation d’un parc éolien.

Natagora use et abuse des avis anti-éoliens

Natagora ne semble pas tenir compte de ces réalités et évolutions légales. Dans la pratique, cette association, dont l’avis consultatif est requis dans le cadre de la procédure de demande de permis éolien, émet des avis défavorables à l’encontre de quasi tous les projets éoliens en Wallonie.

L’association introduit aussi parfois des recours contre les permis de certains projets. Dernier exemple en date : le projet de parc éolien sur la plaine de Boneffe, développé par un acteur privé (Eneco) et 3 coopératives citoyennes (HesbEnergie, Nosse Moulin et Champs d’Energie). Depuis 2008, pas moins de 6 permis d’exploitation ont été octroyés, … tous annulés par des recours au Conseil d’Etat (statuant donc uniquement sur des vices de procédures, pas sur le fond du projet) introduits notamment par Natagora. Un nouveau recours a été déposé en août 2020, les travaux sont à nouveau à l’arrêt et les citoyens coopérateurs expriment leur ras-le-bol dans ce reportage de Canal C.

L’exemple de Boneffe est très représentatif de cette guerre larvée. Les experts du Département Nature et Forêt (Service Public de Wallonie) ont pourtant estimé que la plaine de Boneffe a perdu tout attrait pour les oiseaux, ces dernières années, étant devenue un désert écologique où ne subsistent même plus de haies et, évidemment, de moins en moins d’oiseaux des champs. Ils ont dès lors émis un avis favorable à l’implantation du parc éolien. En outre, ce projet éolien serait accompagné d’une zone de 30 hectares de compensation pour les oiseaux. Les agriculteurs seraient ainsi payés par les développeurs pour laisser cette zone tranquille – pas de passage de machines, pas d’épandage, … -, ce qui permettrait aux oiseaux de nidifier en paix et de ré-occuper la plaine.

Rumeurs et désinformation

Rien n’y fait. L’équipe dirigeante de Natagora défend une vision très étroite et dogmatique de l’environnement local, loin des enjeux climatiques qui nous préoccupent, quitte à jouer un double jeu : l’association se dit officiellement “pour le développement éolien” mais, dans les faits, freine très concrètement les projets de parcs éoliens en Wallonie.

La fédération Inter-Environnement Wallonie a ainsi tenté de concilier les points de vue de ses membres, dont Natagora et RESCoop Wallonie, en vue de mieux soutenir le développement éolien au vu de l’urgence climatique.

Malgré 16 réunions (!), les positions sont restées très divergentes, aboutissant fin 2018 à un texte commun très en-deçà des ambitions initiales (lire la synthèse d’IEW Pour une croissance de qualité de l’éolien en Wallonie).

Les responsables de Natagora rejoignent même le discours des anti-éoliens “par principe”. Dans l’édition de mai-juin 2020 de son magazine, l’association a ainsi publié un dossier intitulé Le grand désordre éolien, qui reprend la rhétorique des rumeurs et désinformation sur le développement éolien en Wallonie. Sur le fond et la forme, ce dossier utilise les mêmes procédés que Vent de Raison, un lobby anti-éolien bien connu (lire cette enquête de IEW : Mais qui sont donc ces « anti-éoliens » ?). Cette désinformation étonne de la part d’une institution qui se dit scientifique.

La fédération RESCOOP Wallonie a aussitôt déconstruit le réquisitoire de Natagora et diffusé auprès de ses coopératives membres un contre-argumentaire mieux informé du cadre légal et des réalités de terrain.

D’autres associations plus conscientes des enjeux

Natagora ne dispose pas du monopole de la protection de la biodiversité en Belgique. A titre de comparaison, les Cercles des Naturalistes de Belgique mènent un travail scientifique et de terrain remarquable et, conscients des enjeux climatiques, développent des partenariats avec les coopératives citoyennes afin de concilier le développement éolien avec la protection de l’avifaune locale.

Pour les Cercles des Naturalistes de Belgique, la protection des oiseaux peut se faire en bonne entente avec le développement éolien.

En France, la Ligue de Protection des Oiseaux soutient le développement éolien et travaille en collaboration avec la filière afin de réduire l’impact sur l’avifaune (lire ce communiqué).

Et aux niveaux belge et international, le WWF mène une action mondialement reconnue pour la protection de la biodiversité et du climat. Citons ainsi le WWF : “Pour répondre adéquatement à cette crise climatique, nous devons de toute urgence réduire nos émissions de carbone et nous préparer aux conséquences du changement climatique, auxquelles le monde est d’ores et déjà confronté. Pour ce faire, le WWF travaille sur différents tableaux :

• Encourager au niveau politique la transition vers 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050, tout en promouvant l’efficacité énergétique et les économies d’énergie

• Combattre la déforestation• Encourager les entreprises à diminuer leurs émissions de CO2 afin qu’elles contribuent à maintenir la hausse des températures sous la barre des 2 °C

• Appeler les autorités à encourager les initiatives allant dans le sens de la durabilité et à réfréner les comportements non durables et la pollution

• Amener les dirigeants du monde à appliquer des mesures concrètes dans chaque pays suite à l’accord de Paris ».