Eolien citoyen : l’idéal coopératif a bon dos

Les coopératives locales sont aujourd’hui concurrencées par des coopératives « industrielles », créées par des entreprises. Une concurrence qui pose questions et fait grincer le mouvement coopératif.

En Belgique, les citoyens ont progressivement saisi l’opportunité du développement éolien pour s’impliquer dans les projets au bénéfice de la collectivité locale. Si bien qu’aujourd’hui, les coopératives citoyennes sont devenues de véritables acteurs de la filière. Elles négocient des partenariats avec le secteur privé ou public et participent à l’adhésion sociale des projets éoliens. Il s’agit d’un véritable mouvement coopératif, portés par des citoyens.

Or, depuis peu de temps, ce mouvement voit arriver des coopératives d’un genre nouveau, créées par des entreprises telles qu’Electrabel, Lampiris et Colruyt.

Ces coopératives « industrielles » visent à faciliter l’acceptation locale d’un projet éolien, dans un contexte où les projets autorisés deviennent rares (lire notre article Mais sur quoi butte l’éolien wallon ?)

Sur la forme, ces nouveaux venus sont constitués sous forme de coopératives et peuvent donc inviter les citoyens à investir dans un parc éolien. Comme toutes les coopératives, elles offrent un dividende attrayant par comparaison aux taux d’intérêt proposés par les banques sur les comptes d’épargne.

Sur le fond, par contre, cette concurrence pose questions.


Les initiatives locales se sont multipliées en Wallonie ces dernières années. Cartes : APERe – Facilitateur éolien.

Des actionnaires industriels prépondérants

Les coopératives « industrielles » offrent-elles une réelle participation citoyenne ? Il suffit de lire attentivement les statuts coopératifs publiés par ces acteurs économiques pour deviner qu’il n’en est rien. Sans véritable ancrage local, elles s’évertuent à limiter le rôle citoyen : droit de vote et copropriété limités, manque de transparence, faible implication dans la gestion et la stratégie, …

Elles ne sont pas toujours agréées par le Conseil National de la Coopération (CNC). Dès lors, le principe « 1 homme = 1 voix », appliqués dans les coopératives locales, n’est pas appliqué ou uniquement pour un nombre réduit de parts. Pour la majeure partie du gâteau, des actionnaires prépondérants peuvent atteindre une minorité de blocage. Autrement dit, les actionnaires industriels se réservent le rôle principal.

Autre restriction révélatrice : les statuts ne prévoient pas la possibilité pour les coopérateurs de vendre l’électricité produite à qui bon leur semble – par exemple à Cociter, coopérative de fourniture d’électricité renouvelable qui regroupe la plupart des productions citoyennes en Wallonie.

Ces éléments induisent une volonté sous-jacente de garder le citoyen captif des acteurs industriels. En fait, les candidats coopérateurs approchés par ces sociétés s’avèrent surtout appâtés par la proximité géographique du projet et un retour sur investissement confortable. Un intérêt déguisé qui s’aligne en fait sur des taux internes pratiqués au sein de la maison-mère sur ses propres mises de fonds.

Pour ces acteurs économiques bien implantés, il suffit de faire un tri géographique sur leur fichier « clients » pour obtenir une liste de citoyens potentiellement intéressés.

Et, à l’examen, les coopératives créées pour l’occasion s’avèrent de simples opérations pour occuper le terrain à peu de frais.

Vers un arbitrage ?

Cette incursion des entreprises traditionnelles sur le terrain coopératif commence à irriter les acteurs locaux qui s’inscrivent, au contraire, dans un esprit démocratique de participation citoyenne.

Un terrain semi-industriel et très technique où elles affinent laborieusement leur expertise et leur professionnalisme depuis quelques années et qui leur ouvre des perspectives nouvelles en termes de transition énergétique. Mais où elles peinent encore souvent à réunir un nombre suffisant de coopérateurs.

« Tôt ou tard, les autorités publiques vont être amenées à arbitrer », se défend l’initiateur d’une de ces coopératives « industrielles ». Ces arbitrages porteraient sur le degré de respect des principes coopératifs et pourraient prendre différentes formes. Comme celle, adoptée en France pour certaines catégories de coopératives, de la « révision coopérative » périodique.

Cette forme d’audit vise à vérifier à intervalle régulier que l’entreprise respecte toujours scrupuleusement les principes coopératifs adoptés en France en 2010. La gestion technique, administrative, financière et sociale de la coopérative y est examinée par un réviseur agréé.  Une façon de prévenir les dérives sans tomber dans le procès d’intention (en savoir plus).

Il se dit qu’au cabinet de Carlo di Antonio, ministre wallon de l’Environnement, une réflexion est entamée sur le sujet. Reste à espérer qu’elle rendra justice à la volonté associative plutôt qu’aux ambitions mercantiles des acteurs industriels soucieux de préserver leurs acquis.