Energie : Vers un service public sous contrôle citoyen ?

Face aux défaillances du marché de l’énergie, de nombreux acteurs plaident pour une transition énergétique sous contrôle public, seul moyen de maîtriser la consommation d’énergie et atteindre une société décarbonée et inclusive.

Alors que les factures d’énergie continuent de monter en flèche, des millions d’Européens sont confrontés à un hiver glacial – obligés de choisir entre chauffer leur maison ou avoir de la nourriture sur la table. Cela sera dangereux, et dans certains cas mortel, pour les ménages vulnérables à moins que des mesures de secours d’urgence plus fortes ne soient mises en place et que les causes profondes de la pauvreté énergétique ne soient traitées, déclare dans un communiqué la coalition Droit à l’Energie, qui réunit des ONG, des syndicats et des organisations de justice sociale à travers l’Europe. 

Martha Myers, militante contre la pauvreté énergétique pour les Amis de la Terre Europe, a ainsi déclaré : « L’accès à une énergie propre et abordable est un droit humain. C’est un scandale que les Européens soient obligés de payer le prix de notre système énergétique volatile dominé par les combustibles fossiles.” 

Jan Willem Goudriaan, secrétaire général de la Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP), a également réagi : « Cette crise des prix de l’énergie révèle les lacunes massives du système énergétique néolibéral. Les gouvernements devraient immédiatement interdire les coupures d’énergie et arrêter la suppression progressive des prix réglementés de l’énergie pour les ménages. La maîtrise publique est aujourd’hui plus que jamais indispensable pour un vrai droit à l’énergie.” 

La coalition demande aux Etats européens de fournir un soutien financier et des programmes de rénovation et d’énergies renouvelables subventionnés à ceux qui sont en situation de précarité énergétique. 

Mais la flambée des prix de l’énergie n’est pas le seul motif de critiques envers le marché de l’énergie centré sur le profit. 

Le marché ne permet pas de maîtriser la transition énergétique 

Le Transnational Institute et le syndicat pour la Démocratie énergétique ont récemment publié un rapport intitulé Energy transition or energy expansion ? 

Par une analyse chiffrée et détaillée, ces deux acteurs démontrent que, malgré les discours enthousiastes sur la transition énergétique, la consommation d’énergie ne cesse d’augmenter dans le monde, principalement d’énergie fossile, tandis que les énergies renouvelables ne viennent couvrir qu’une faible partie de cette consommation. Voici quelques extraits des conclusions de ce rapport : 

“Les récits sensationnalistes d’une croissance imparable des énergies renouvelables et de diverses technologies « propres » perpétuent le mythe selon lequel la transition vers un monde bas carbone est bien amorcée et doit aller plus vite. En réalité, les émissions de gaz à effet de serre augmentent et le changement climatique s’intensifie. C’est parce que l’utilisation de combustibles fossiles continue d’augmenter. Et tandis que le secteur des énergies renouvelables est en croissance, son taux de croissance est largement dépassée par celle de la demande énergétique mondiale.” 

“Après trente ans de politique climatique néolibérale, celle-ci n’a même pas commencé à faire des progrès significatifs.” 

“La poursuite d’une croissance sans fin et d’une accumulation capitaliste a entraîné une expansion énergétique, plutôt qu’une transition énergétique. De plus, le défense dogmatique de la concurrence marchande et du profit privé avant tout a entraîné une crise de plus en plus grave de sous-investissement et une série de problèmes techniques qui n’ont pas encore été résolus.” 

“La « main invisible » du marché n’atteindra jamais la transition énergétique mondiale dont nous avons besoin, car cela menacerait la rentabilité d’acteurs privés devenus trop gros pour faire faillite.” 

“La nécessité d’une alternative publique ne pourrait pas être plus claire. Le bien public et l’approche de la propriété publique peuvent ancrer les objectifs sociaux et environnementaux dans la politique climatique et énergétique. De plus, il peut faciliter les formes de planification et de coordination qui ont été imprévisibles pendant des décennies.”  

“La transition énergétique au service des hommes et de la planète doit être fondée sur les principes de la démocratie énergétique. Cela signifie des formes de propriété et de gestion publiques ancrées dans de véritables participation et contrôle populaires.” 

De son côté, la Fédération européenne des services publics arrive aux mêmes conclusions dans son rapport Going Public: A Decarbonised, Affordable and Democratic Energy System for Europe

Sortir l’énergie du marché ? 

Ce débat est loin d’être théorique. En France, de nombreux représentants politiques, économistes, sociologues, historiens de l’énergie, essayistes, journalistes, représentants d’ONG et associations de consommateurs ont signé un “Appel pour la construction d’un véritable service public de l’énergie sous contrôle citoyen”. 

Largement relayé par la presse, cet Appel plaide ni plus ni moins pour sortir l’énergie du marché, quitte à déroger aux règles européennes, et à y intégrer la maîtrise de la consommation. 

« La transition énergétique doit être financée par des fonds publics, bien moins coûteux à long terme que le recours aux capitaux privés […]. Le contrôle citoyen sur ce secteur stratégique doit être garanti à tous les niveaux de décision par des structures décisionnaires élues, transparentes, informées par des sources diverses et potentiellement contradictoires. Le choix du mix énergétique et celui des formes de décentralisation de ce service public devront, eux aussi, faire l’objet de débats démocratiques. ».  

Dans une analyse, Anne Debregeas, porte-parole de la Fédération SUD-Énergie, Ingénieure de recherche à EDF en économie et fonctionnement du système électrique, développe les arguments sur La nécessité d’un service public de l’énergie sous contrôle citoyen. 

Selon elle, il est également nécessaire de revenir à une grille tarifaire garantissant une stabilité des prix, une équité de traitement et l’accès à tous à l’énergie, qui pourrait passer par la gratuité des usages de base et des prix plus élevés pour les surconsommations. Les objectifs sociaux, d’aménagement du territoire et écologiques liés à l’énergie sont incompatibles avec des prix de marché. 

Les objectifs de service public pourraient être définis démocratiquement et contrôlés, par exemple via des contrats de service public, sur la base d’indicateurs clairs. 

“Il est temps que ce bien commun stratégique qu’est l’énergie cesse d’être considéré comme une marchandise, qu’il soit géré dans l’intérêt général et sous contrôle démocratique, dans le souci premier de répondre aux enjeux climatiques et écologiques, tout en garantissant l’accès à tous à l’énergie”, conclut-elle. 

Il est désormais imaginable, à moyen ou long terme, de concevoir un service public européen de l’énergie. 

Preuve qu’un retour du public est possible sur de grands marchés : au Royaume Uni, l’Etat vient de reprendre contrôle du service ferroviaire, après 25 années de libéralisation et de défaillances dénoncées de toutes parts (lire cet article du journal Le Monde). 

Re-municipalisation 

Nous assistons en réalité à un mouvement de fond. 

Le Transnational Institute a ainsi identifié plus de 1.400 initiatives de (re)municipalisation dans 58 pays (illustration ci-dessous). 

En Europe, l’Allemagne fait figure de champion, grâce à la participation des collectivités locales aux projets d’énergies renouvelables.