Depuis deux ans, REstore s’est fait une place en tant qu’agrégateur dans le petit monde de la gestion de la demande. Il a notamment participé au récent appel d’offre d’Elia en vue de constituer la fameuse Réserve stratégique pour l’hiver 2014/2015 : une centaine de mégawatts devraient être effaçables aux termes d’accords conclus avec quelques gros industriels. Voici le point de vue de Donald Gilbert, Sourcing Manager de REstore…
Jean Cech : Les contrats interruptibles avec les industriels sont-ils difficiles à organiser ?
Donald Gilbert : Techniquement, pas vraiment. C’est plus une question de changement de mentalité. Sur le plan contractuel, nous signons une convention avec un industriel aux termes de laquelle nous leur achetons de la flexibilité. À charge pour nous de revendre cette flexibilité dans le cadre d’un appel d’offre du gestionnaire de réseau de transport (Elia) au sein d’un paquet comprenant les offres de flexibilité d’autres industriels que nous avons agrégés. Notre travail auprès de ces industriels est d’abord de leur faire comprendre l’intérêt qu’ils peuvent avoir à opérer de manière volontaire ce type de délestage, de les amener ensuite à constater qu’ils ont bel et bien une telle flexibilité dans leur processus industriel, de la situer et enfin de leur proposer de la valoriser, ce à quoi ils n’avaient pour la plupart jamais pensé.
J.C. : A priori, comment est dès lors reçu ce discours ?
D.G. : Avec une grande incrédulité. REstore a d’abord démarré dans le domaine des entrepôts frigorifiques. Parce que c’est l’exemple classique du stock tampon. Si on arrête les compresseurs de ces installations, la température va certes légèrement augmenter dans leur entrepôt. S’il est bien conçu, l’augmentation sera peut-être de un degré au bout de deux heures – et c’est précisément la durée maximale de délestage que propose Elia dans ses contrats avec les industriels connectés aux Réseaux de distribution – mais ils seront toujours largement en-dessous des exigences de leur cahier des charges. Il n’y a donc pas de désagrément à attendre dans la production industrielle, d’autant que le deal prévoit que vous ne serez plus interrompu pendant les douze heures suivantes. Le fait de délester les quelques centaines de kW que cela représente au niveau de leur compresseur fait que, agrégé à d’autres délestages de ce type, on atteint rapidement quelques dizaines de MW. Un potentiel qui commence à compter au niveau d’un point de consommation sur un réseau comme celui d’Elia.
J.C. : De quelle ampleur est ce potentiel ?
D.G. : Le sondage qu’Elia a fait auprès des industriels l’a chiffré à quelques 630 MW. Dont 130 MW n’ont pas encore été « valorisés » A quoi il convient d’ajouter plus d’une centaine de MW connectés aux réseaux de distribution. Cela correspond grosso modo à une petite centrale biomasse. Pas de quoi compenser une tranche nucléaire bien sûr, mais assez pour contribuer à faire face, avec les autres outils du mix énergétique.
J.C. : Ce portefeuille que vous avez concédé à Elia dans le cadre de la réserve stratégique, il comporte tout de même des risque, non ? Un industriel donnera toujours la priorité à son processus industriel. Quitte à renier son engagement de délestage…
D.G. : Cela peut arriver effectivement. Mais nous sommes outillés pour gérer ce risque. Le monitoring que nous avons installé auprès de chaque client industriel nous permet d’anticiper, minute par minute, la difficulté qui pourrait survenir et d’aller instantanément chercher chez un autre client industriel la puissance qui risque de faire défaut. Cette gestion du risque est cruciale pour nous car cette fiabilité, appelée en dernier ressort, est essentielle pour Elia. Les pénalités en cas de défaillance sont extrêmement lourdes. Au niveau de la demande, le manque de fiabilité des industriels est souvent pointé du doigt, principalement pour les raisons que vous avez évoquées, le délestage étant toujours volontaire de leur part. Tout l’art est de pouvoir à tout moment, quelles que soient les circonstances, répondre à nos engagement vis-à-vis d’Elia.
J.C. : A quelle hauteur Elia rémunère-t-elle l’industriel pour cette flexibilité ?
D.G. : Dans la plupart de ses programmes, Elia rémunère la simple mise à disposition des équipements interruptibles. On peut le voir comme une sorte de prime d’assurance payée par le gestionnaire de réseau à l’industriel, telle qu’à tout moment Elia peut appuyer sur un bouton et mettre à l’arrêt pendant 1 ou 2 heures le procédé consommateur d’électricité. En fonction des spécificités du programme, ce montant peut atteindre quelques dizaines de milliers d’euros par MW par an. Dans certains cas, Elia rémunère également les MWh effacés lors de chaque activation. Ceux-ci sont déterminés sur base du coût d’une mise à l’arrêt de l’industriel, évaluée en euros par heure de production perdue. Bien sûr, il faut que ce coût reste raisonnable pour Elia. Pour donner un ordre de grandeur, on peut se baser sur les tarifs dits de déséquilibre, qui sont publiés sur base quart-horaire. A titre d’exemple, ces derniers mois, le prix du MWh s’est situé autour de 50 €. Mais en cas d’inadéquation temporaire entre l’offre et la demande, cela peut monter à 300 €/MWh. L’intérêt pour l’industriel – qui a souvent acheté son électricité longtemps à l’avance à un prix intéressant sur le marché forward -, c’est que, s’il consent à cesser de consommer au moment où on le lui demande, il pourra revendre cette électricité à celui qui en a besoin avec une plus-value non négligeable.
J.C. : Vous avez évoqué, via le sondage d’Elia, un potentiel théorique d’effacement de 630 MW. Est-ce qu’en explorant de manière systématique toutes les possibilités de flexibilité de la demande, on pourrait selon vous viser beaucoup plus haut ?
D.G. : Absolument. Pour ce qui nous concerne, nous pensons que, dans notre coeur de métier, nous pourrions encore aller chercher une bonne centaine de mégawatts auprès de nos clients industriels. Mais cela demande du temps. C’était au départ un marché de niche relativement petit, mais les circonstances que vous connaissez l’ont considérablement médiatisé de sorte que notre discours est bien mieux reçu de par sa dimension stratégique dans le cadre du marché de l’électricité. Sans parler de ses dimensions sociétales. On a donc beaucoup plus aisément accès aux décideurs. Vu sous cet angle, le marché de la gestion de la demande est encore relativement neuf pour ceux-ci. La flexibilité est un savoir-faire qui est appelé à se développer encore. C’est une notion au sein de laquelle on découvre encore régulièrement des potentialités à travers nos contacts avec les industriels. Le mégawatt qu’on peut effacer, pour l’instant, est valorisé à plusieurs dizaines de milliers d’euros par an. Ce qui peut représenter une économie de 5 % à 10 % sur la facture d’électricité. Ce n’est pas énorme, mais dans les circonstances actuelles, cela prend aussi une dimension intéressante en dehors du seul impératif économique.
J.C. : Pourquoi Elia ne s’en charge-t-elle pas elle-même ? Et pourquoi ne pas aller chercher cette flexibilité au-delà des gros industriels, auprès des PMI, voire des particuliers… ?
D.G. : Parce que le statut de monopole de fait d’Elia ne l’y autorise pas. Elia est, vous le savez, le gestionnaire du réseau haute-tension en charge de l’équilibre du réseau. Au-delà, dans les petites et moyennes entreprises, vous êtes le plus souvent connecté au travers d’un distributeur – le GRD. Ceux-ci n’ont pas cette casquette de responsable d’équilibre. Leur mission est d’entretenir et de renforcer le réseau. Mais il est vrai qu’il y a à ce niveau un grand potentiel de petites flexibilités qu’on pourrait agréger pour participer à la réserve stratégique en dehors de la réserve tertiaire. Ce qu’il faudrait, c’est changer le cadre régulatoire pour inciter les GRD à participer à leur niveau à cet effort de flexibilité et accompagner la transition. Quant aux particuliers, en dehors des systèmes un peu rudimentaires via les SMS, cela passera sans doute, outre la sensibilisation, par la domotique et les réseaux intelligents. Sur le plan du principe, le thermostat intelligent, qui arrive actuellement en Belgique en donne sans doute un avant-goût…