Les constructeurs automobiles conçoivent des voitures plus lourdes, plus puissantes et peu aérodynamiques. Elles consomment plus d'énergie, rejettent plus de gaz à effet de serre et s'avèrent plus dangereuses pour la sécurité publique. Une régulation est urgente.
Une tendance …lourde
Le marché automobile belge et européen s’oriente clairement vers des véhicules toujours plus lourds, plus puissants, plus rapides et plus agressifs. En Belgique, en 2001, on immatriculait 13.490 voitures neuves de type « jeeplike » (dont le design est inspiré de celui des 4×4). En 2016, ce nombre grimpait à 146.563, soit 27,2% des voitures neuves immatriculées l’année dernière.
Il s’agit d’une tendance lourde au niveau européen, comme le montrent la figure et le tableau ci-dessous :
Figure 1 : Evolution du rapport puissance/masse des voitures neuves vendues en Europe. Données : CEMT, 2001 et ICCT, 2016. 1980 : 8 pays – 1995 : 13 pays – 2001 : 27 pays – 2014 : 28 pays
2001 | 2015 | Evolution | |
Masse (kg) | 1268 | 1385 | +8,4% |
Puissance (kW) | 74 | 93 | +25,7% |
Vitesse de pointe (km/h) | 180 | 190 | +5,6% |
Surface frontale (m²) | 2,52 | 2,74 | +8,7% |
Tableau 1 : Evolution, entre 2001 et 2015, de la masse, de la puissance, de la vitesse de pointe et de la surface frontale (largeur X hauteur) des voitures neuves vendues en Europe – Source : ICCT, 2016
Un danger public
Les véhicules lourds, puissants, rapides et peu aérodynamiques nécessitent plus d’énergie que les véhicules légers pour être mis en mouvement. Ils restituent donc plus d’énergie en cas de choc et d’accident.
Par ailleurs, de nombreux observateurs constatent chez nombre de conducteurs des comportements contraires aux règles de prudence élémentaires : difficile de résister à la tentation d’utiliser le potentiel de puissance du véhicule que l’on conduit.
Les assureurs intègrent d’ailleurs la puissance mécanique dans le calcul du montant de l’assurance en responsabilité civile, comme l’explique clairement AXA : « les statistiques établissent que plus un véhicule est puissant, plus la fréquence et la gravité des accidents sont élevées. »
Plusieurs compagnies d’assurance estiment que les voitures puissantes provoquent un nombre d’accidents de la route plus élevés et plus graves.
Energivore et nocif pour l’environnement
Cette course effrénée à la puissance s’avère aussi plus énergivore et, partant, rejette plus de gaz à effet de serre et de polluants locaux.
Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer ci-dessous la consommation de carburant officielle de deux voitures d’un même modèle, mais de puissance différente (tableau 2) : en milieu urbain, une golf VII de 221 kW (modèle 1) consomme 54% de carburant de plus que la version de 62 kW (modèle 2). Ceci en laboratoire. Sur route, la différence sera plus grande encore du fait que le véhicule plus puissant induira inévitablement une conduite plus « musclée ».
Modèle | 1 | 2 | Différence 2/1 (%) |
Puissance (kW) | 62 | 221 | + 256% |
Masse (kg) | 1.130 | 1.401 | + 24% |
Vitesse de pointe (km/h) | 179 | 250 | + 38% |
Cycle urbain (l/100 km) | 6,1 | 9,4 | + 54% |
Extra urbain (l/100 km) | 4,2 | 5,9 | + 41% |
Mixte (l/100 km) | 4,9 | 7,1 | + 45% |
Tableau 2 : caractéristiques et consommation de carburant de deux versions différentes de la VW Golf VII à motorisation essence. Données: http://www.largus.fr
Mise en garde
« L’accroissement continu de la puissance des véhicules (voitures particulières et poids lourds) est indésirable et inacceptable pour des raisons de sécurité, d’environnement et d’économie d’énergie ». C’est en ces termes on ne peut plus clairs que la conférence européenne des ministres des transports (CEMT) exprimait, en 1991, son indignation face à l’augmentation continue des performances dynamiques des véhicules routiers.
En 2004, l’OCDE soulignait que « La réduction du rapport puissance/poids constituerait l’un des moyens les plus efficaces de réduire la consommation, quelle que soit la technologie du moteur. Des rapports puissance/poids inférieurs se traduiraient par des avantages immédiats du point de vue des émissions locales de polluants et des émissions globales de CO2 et contribueraient en outre à améliorer la sécurité routière. »
Or, si la vitesse maximale des camions a été limitée, rien n’a été fait pour maîtriser cette dérive du marché automobile.
En dépit de l’évidence, aucun garde-fou n’est imposé aux constructeurs automobiles qui sont tout à fait libres de concevoir, promouvoir et vendre des véhicules inutilement dangereux, consommateurs d’énergie et polluants.
Pourquoi autoriser des puissances qui dépassent de très loin les vitesses maximales autorisées sur les routes européennes?
Des associations en appellent à une régulation urgente
Face à la passivité des autorités, la Fédération Inter-Environnement Wallonie et l’asbl Parents d’Enfants Victimes de la Route ont initié en 2014 le projet LISA Car (light and safe car : voiture légère et sûre) avec le soutien de la Fédération Européenne de Victimes de la Route et de la fédération européenne Transport & Environment.
Objectif : instaurer des normes européennes limitant la masse, la puissance, la vitesse de pointe des véhicules et l’agressivité de leur face avant « carrée » afin de diminuer, tout à la fois, leur consommation d’énergie, la pollution qu’ils engendrent et leur dangerosité.
Ce grave problème sociétal requiert de porter un regard neuf, sans concessions, sur l’automobile et de s’attaquer, enfin, à ses dérives au lieu de les considérer d’un œil au mieux indifférent, au pire bienveillant.
Non, il n’est pas acceptable de fabriquer, d’homologuer, de mettre en vente des véhicules toujours plus lourds, toujours plus puissants, dont la vitesse de pointe est de très loin supérieure à la vitesse maximale autorisée sur les routes européennes (à l’exception de quelques kilomètres d’autoroutes allemandes qui semblent n’avoir d’autre raison d’être que de cautionner l’existence de voitures surpuissantes). Il faut cesser de s’extasier devant les engins nés de cette course à la « performance ».
On ne peut mieux l’exprimer que Monsieur Claude Got, docteur en médecine et expert en accidentologie : « Il est indéfendable d’avoir limité les vitesses maximales des cyclomoteurs, des poids lourds, des tracteurs, pour des raisons de sécurité et de n’avoir pas adopté la même attitude pour les véhicules légers qui produisent le plus grand nombre de décès […] C’est un échec grave de notre civilisation, un signe de barbarie et d’indifférence à une souffrance que l’on se refuse à imaginer pour soi et dont on tolère qu’elle soit subie par les autres. »
Il s’agit véritablement d’un devoir d’hommage, d’un devoir de respect par rapport aux victimes de la route et à leurs proches.
Mais aussi de protéger les citoyens face à cette dérive de notre système de mobilité : risque accru d’accidents graves, bruit des transports (stress, maladies cardio-vasculaires, …), émissions polluantes (affectations des voies respiratoires, problèmes mutagènes et cancérigènes).
Pour relever les défis de la mobilité, de la santé et du climat, les autorités européennes se doivent d’imposer des normes aux constructeurs automobiles afin de mettre en circulation des voitures légères, peu énergivores et plus sûres pour nos espaces publics.
Limiter le poids et la puissance des voitures permettrait de rendre nos espaces publics plus sûrs et de réduire notre impact sur la santé, l’environnement et le climat.
Le Gouvernement belge peut agir sur la fiscalité
Dès aujourd’hui, le Gouvernement belge a la possibilité d’agir au travers du mécanisme fiscal avantageux accordé aux voitures de société, bien souvent de taille plus grande que la moyenne. Sur les routes belges, une voiture sur dix est une « voiture salaire », selon les estimations de la Fédération Inter-Environnement Wallonie. Le Gouvernement fédéral peut supprimer cet avantage ou le limiter uniquement aux véhicules légers, par exemple de moins d’une tonne.
Lire à ce sujet notre article Entre climat et voitures lourdes.