Voici une initiative atypique dans le scandale Nethys : des coopératives citoyennes wallonnes souhaitent acquérir Elicio, la filiale éolienne de Nethys, grâce à un fonds coopératif européen. Les citoyens belges sont appelés à soutenir cette démarche inédite.
Le scandale politico-financier Publifin / Nethys révèle depuis fin 2016 un système complexe d’enrichissement personnel sur le compte de biens publics en région liégeoise (lire par exemple ces résumés : Wikipedia – RTBF – RTL).
Plus récemment, la vente de Elicio, filiale de Nethys, a offensé durablement l’opinion publique : ce développeur éolien, pourtant rentable, devait être vendu en toute opacité et pour 2 euros symboliques, au bénéfice des protagonistes du scandale.
Dans ce contexte, des coopératives citoyennes wallonnes actives dans la production d’énergies renouvelables se sont regroupés au sein d’une alliance, baptisée Energies Coopératives, qui se porte candidate pour acquérir Elicio.
Cette initiative atypique, créée avec le soutien de la fédération européenne REScoop (Renewable Energy Sources Cooperatives), mérite toute notre attention car elle est porteuse d’une dynamique durable, citoyenne et de bonne gouvernance.
Dans un communiqué, Energies coopératives propose en effet de reprendre le contrôle d’Elicio en devenant actionnaire de référence : « Cela apparaît essentiel pour gérer l’entreprise en transparence, garder la maîtrise de notre énergie renouvelable et durable, éviter que les plus-values n’échappent aux acteurs locaux – ce qui limite leur capacité d’action au service de l’intérêt général – mais aussi et surtout renforcer l’économie de la Wallonie en y développant le parc éolien local. »
Les initiateurs rappellent également cet autre contexte : « Dans leur grande majorité, les acteurs énergétiques actifs en Wallonie ne sont plus locaux mais bien des multinationales dont les centres de décision ne sont pas en Wallonie et dont les bénéfices profitent trop peu à l’écosystème économique local. Le phénomène n’est pas seulement wallon : les communes hollandaises viennent par exemple d’être dépossédées de leur producteur éolien Eneco, passé dans des mains asiatiques. »
Energies Coopératives appelle donc les citoyens à reprendre la main sur l’énergie verte et à signer cet appel pour un contrôle citoyen d’Elicio.
Mais à quoi correspond Elicio ?
Elicio, producteur d’énergie renouvelable, est principalement actif dans l’éolien. En Belgique, l’entreprise a développé à ce jour 16 parcs éoliens terrestres (14 en Flandre, 2 en Wallonie) et dispose de participations dans 5 parcs éoliens en Mer du Nord (tel que Norther, photo ci-dessous). Au niveau international, Elicio est active sur 13 parcs éoliens en France et 2 en Serbie.
L’entreprise se lance également dans des projets offshore en France et un projet d’éolien flottant en Ecosse. Au total, plus de 100 éoliennes couvriront à l’horizon 2020 les besoins en électricité de 500.000 ménages.
Comment assurer cette acquisition citoyenne ?
Pour financer l’opération, Energies Coopératives compte s’appuyer sur le réseau européen REScoop et sur son fonds « Mecise » mis en place pour financer à l’échelle européenne des projets d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique. Mecise, qui dispose d’une capacité de plusieurs centaines de millions d’euros, assurera le portage financier de l’opération, « car il est évident qu’Elicio vaut bien plus que deux euros. »
Le mouvement coopératif européen trouve donc ici une opportunité concrète pour utiliser son nouvel outil de financement, dont Renouvelle vous expliquait les enjeux en mars 2019 (lire notre article Quelle dynamique européenne pour les coopératives ?).
A priori, les citoyens belges ne pourront pas prendre des parts directement dans Energies Coopératives, mais plutôt dans les coopératives citoyennes qui composent l’alliance.
Assurer une transition énergétique citoyenne
Les initiateurs, expérimentés dans la production éolienne, se montrent en tout cas très motivés.
« Nous voulons renforcer Elicio sur le territoire wallon en combinant les compétences d’un développeur avec notre expertise de terrain et de dialogue avec les citoyens », explique ainsi Fabienne Marchal, présidente de REScoop Wallonie. « Nous avons la volonté de développer nos parcs éoliens en partenariat avec Elicio. L’intégration des coopératives citoyennes comme actionnaire de référence rendra Elicio plus résiliente (…). Nous allons mettre en œuvre les principes de transparence, de solidarité et de durabilité en misant sur le modèle coopératif de l’économie sociale, locale et circulaire, ouvert à tous les citoyens, pour l’exploitation d’un bien commun comme l’énergie du vent (…). »
Pour Fabrice Collignon, porteur local du projet, « cette initiative industrielle citoyenne va lever des moyens financiers auprès du grand public et démontrera sa capacité d’être un partenaire fiable, agile et efficace dans la gestion de projets énergétiques d’ampleur. »
Sybille Mertens, Professeure à l’Université de Liège – Centre d’économie sociale, ajoute : « D’un point de vue économique, le modèle coopératif est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit d’assurer un ancrage local à un projet économique d’intérêt collectif. Nos recherches démontrent la nécessité de concevoir la gestion des biens communs (comme l’énergie) en favorisant des solutions impliquant les citoyens. En effet, la présence citoyenne renforce la légitimité de l’action publique et facilite l’adoption de comportements plus responsables dans le secteur de l’énergie, tant au niveau de la production, de la distribution que sur le plan de la consommation. »
Enfin, Dirk Vansintjan, Président de la fédération européenne REScoop.eu et administrateur REScoop Vlanderen, précise : « Les citoyens et les autres consommateurs de l’électricité basse tension supportent 90% du coût de la transition énergétique en Belgique via l’incorporation des certificats verts à leur facture d’électricité. Ainsi faisant, ils rendent, financièrement, la transition énergétique intéressante aux gros consommateurs d’électricité. Ne serait-il pas justifié qu’on leur offre la possibilité de devenir propriétaire des parcs de production d’énergie verte ? La reprise d’Elicio par des coopératives de citoyens dans leur région est un pas dans la bonne direction. »
En phase avec le Gouvernement wallon ?
Energies Coopératives a également analysé la Déclaration de politique régionale (DPR) du nouveau Gouvernement wallon et estime que son initiative se trouve totalement en phase avec celle-ci.
En effet, la DPR entend :
- « encourager les entrepreneurs qui inscrivent leur action dans le cadre de la transition énergétique et de l’économie circulaire » (p. 27),
- développer et appuyer le développement éolien au travers de la participation citoyenne (p. 61),
- aider la collectivité à se réapproprier la maîtrise de l’énergie (p. 59) en encourageant le développement de l’économie sociale (p. 37) et le développement de la finance citoyenne et solidaire en faisant appel à l’épargne des Wallons (p. 32).
- Tout cela dans une vision énergétique d’une Wallonie « 100% énergies renouvelables » et neutre en carbone d’ici 2050 (pp. 54 et 59).
(Lire également notre article Les nouveaux Gouvernements régionaux boosteront-ils l’énergie durable ?).
Achat ou participation au capital ?
A ce stade, Energies Coopératives demande à pouvoir accéder à toutes les informations relatives aux actifs de la société (data room) de manière à être en mesure de remettre une offre.
« S’il y a revente d’Elicio, on souhaite avoir les mêmes conditions que quelqu’un d’autre pour faire une offre. Et si Elicio n’est pas mise en vente, on demande à entrer dans le capital car l’apport citoyen peut constituer une aide importante aux pouvoirs publics pour plus de transparence », précise Fabienne Marchal, présidente de REScoop Wallonie. Energies Coopératives se dit ouverte au dialogue avec des industriels qui souhaiteraient les rejoindre.
Affaire à suivre…