Comment YouTube favorise les vidéos climatosceptiques

La plateforme YouTube propose activement des vidéos qui nient le réchauffement climatique pour attirer une audience et des annonceurs publicitaires, dévoile un rapport de l’ONG Avaaz. Face aux fake news, de nouveaux outils émergent pour lutter contre cette désinformation climatique.

Avaaz, une ONG qui soutient les mouvements citoyens dans le monde (campagnes, pétitions, …), a publié en janvier 2020 un rapport accablant : Pourquoi YouTube diffuse une désinformation sur le climat auprès de millions de personnes ?

L’organisme a effectué sur YouTube des recherches avec les mots-clefs « changement climatique » ou « réchauffement climatique » et analysé 5.537 résultats suggérés par la plateforme mondiale de vidéos. Constat : dans 1 cas sur 5, l’internaute se voit proposé un contenu mensonger qui nie le réchauffement climatique ou sa responsabilité humaine.

Un internaute qui s’intéresse aux questions climatiques tombera ainsi facilement, au cours de sa navigation, sur des vidéos de YouTubers qui lui démontreront qu’il n’y a pas de changement climatique. Une vidéo du physicien François Gervais, intitulée « L’urgence climatique est un leurre », a ainsi été vue plus de 600.000 fois. L’ensemble des vidéos climatosceptiques analysées par Avaaz totalisent plus de 21 millions de vues.

Les vidéos climatosceptiques – telles que celle-ci-dessus – représentent 20% des vues sur les 100 vidéos les plus consultées en lien avec la recherche « réchauffement climatique » sur YouTube.

Au niveau mondial, les climatosceptiques sont nombreux à s’exprimer et à réfuter les rapports de la communauté scientifique internationale – à commencer par le président des Etats-Unis. Les autorités publiques, les écoles et les médias ont donc un rôle primordial à jouer pour informer et éveiller une conscience critique – sur les enjeux climatiques et sur la désinformation -, en particulier auprès des jeunes citoyens qui s’informent et se divertissent quotidiennement via les réseaux sociaux.

Le hic, dans le cas de YouTube, c’est que la plateforme fonctionne de manière à favoriser et amplifier les discours climatosceptiques.

 

Un algorithme qui favorise les contenus dérangeants

 

En effet, l’algorithme utilisé par YouTube est conçu pour maintenir l’attention des spectateurs le plus longtemps possible, afin de générer des statistiques de consultations élevées qui seront ensuite monnayées auprès des annonceurs publicitaires. Et cet algorithme choisira plus facilement un contenu dérangeant ou polémique qui suscitera potentiellement une plus large audience.

Le rapport de Avaaz a identifié une centaine de marques dont les publicités apparaissent avant la lecture de ces vidéos – dont Samsung, L’Oréal, Warner Bros, Carrefour et Danone.

Plus interpellant encore : dans 1 cas sur 5, ce sont des publicités pour des organismes environnementaux ou éthiques qui apparaissent – tels que Greenpeace, le WWF et Save the Children -, ce qui pourrait laisser croire aux internautes crédules que ces ONGs cautionnent ces vidéos climatosceptiques.

Contactés par Avaaz, Greenpeace, le WWF et plusieurs annonceurs privés ne savaient pas que leurs publicités côtoyaient ainsi cette désinformation.

Quant aux personnes qui produisent ces vidéos mensongères, elles perçoivent une partie des recettes publicitaires.

Une centaine d’annonceurs sont associés, souvent sans le savoir, à ces vidéos mensongères.

 

Détoxifier YouTube

 

Avaaz appelle dès lors YouTube à agir à trois niveaux :

  • Détoxifier l’algorithme en retirant ces vidéos mensongères des suggestions automatiques,
  • Démonétiser ces vidéos, qui ne pourront plus être rémunérées par YouTube,
  • Faire appel à des experts indépendants pour corriger cette désinformation et rectifier les faits scientifiques après chaque visionnage (fact cheking).

Google – propriétaire de YouTube – a toujours été réticent d’interdire la publicité sur ses contenus, ce qui le priverait de revenus financiers.

Cependant, un boycott publicitaire a déjà eu lieu en 2017, lorsque plusieurs annonceurs ont refusé d’apparaître avant ou après des vidéos très controversées (lire cet article de La Tribune : Publicité : pourquoi des annonceurs boycottent Google et Youtube ).

Et il n’est pas impossible que les annonceurs ici concernés refusent bientôt d’être associés à des contenus climatosceptiques qui risqueraient de nuire à leur image.

Selon Avaaz, YouTube doit notamment avertir l’internaute du caractère mensonger des vidéos climatosceptiques.

 

Faire pression sur YouTube

 

En toute logique, Avaaz lance une campagne et pétition pour faire pression sur YouTube et ses annonceurs, en vue de détoxifier l’algorithme. Vous pouvez la signer ici et la partager.

 

Former des citoyens critiques

 

Les fake news, rapidement relayées sur les réseaux sociaux, pose un réel défi éducatif.

Dans nos sociétés ultra-connectées, les jeunes générations sont et seront de plus en plus exposées à la désinformation.

En France, selon la récente étude Viavoice, 28% des 18-24 ans font plus confiance à une information relayée sur les réseaux sociaux qu’à ce qu’ils trouvent dans les médias. 47 % des 18-24 ans pensent également qu’ « avec les réseaux sociaux, il est de moins en moins nécessaire de consulter directement les sites de médias en ligne » (lire cet analyse de Digimind, une agence spécialisée dans les technologies de l’information).

L’éducation aux médias et aux réseaux sociaux s’avère donc un enjeu éducatif prioritaire.

L’école, en particulier, doit former les élèves à un esprit critique et autonome, capable de discerner des informations fiables ou non.

Selon le réseau RITIMO actif sur ces enjeux, « Il s’agit, dans le cas des fake news, de savoir identifier et comprendre la signification des informations mensongères fabriquées par des individus, des mouvements ou des puissances étrangères que les réseaux sociaux permettent de diffuser à grande échelle, sans participer volontairement ou à son insu à leur diffusion. » (lire cette analyse : Former à l’esprit critique : une arme efficace contre les fake news ).

Ces jeunes citoyens vont-ils supprimer ou partager les fake news sur le climat ?

 

Des outils contre les fake-news

 

En Europe, plusieurs pays ont adopté des lois pour lutter contre la diffusion de fausses informations. Mais de telles lois suscite des craintes légitimes sur la liberté d’expression et les risques de dérives autoritaires (lire cette analyse de Vie-publique.fr et ce dossier du magazine Le point).

La Commission européenne a également mené une consultation publique et publié un rapport sur la question. Sans exclure la possibilité d’une réglementation, elle recommande, dans un premier temps, l’élaboration à l’échelle de l’Union d’un code de bonnes pratiques contre la désinformation et le soutien à un réseau indépendant de vérificateurs de faits (fact-checkers).

Parmi les 10 principes essentiels mis en exergue dans le rapport, les plateformes en ligne devraient, par exemple, garantir la transparence en expliquant comment les algorithmes sélectionnent les informations présentées. Elles sont également encouragées, en coopération avec les organismes d’information européens, à prendre des mesures efficaces pour accroître la visibilité des informations fiables et crédibles et faciliter l’accès des utilisateurs à ces informations

La Commission propose notamment d’user de nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle ou la blockchain, pour améliorer la capacité de tout citoyen à accéder à des informations correctes ainsi qu’à une diversité de points de vue. 

Dans le monde francophone, un dispositif pour lutter contre la désinformation climatique est en cours d’élaboration. Baptisé « Stop aux Infox », cet outil s’appuiera sur deux méthodes :

  • L’intelligence artificielle : des algorithmes pourront repérer en temps réel les contenus partagés par les climatosceptiques sur les réseaux sociaux ;
  • L’intelligence collective : une communauté de 18.000 contributeurs – académiques, journalistes, scientifiques ou simples citoyens – aura ensuite le rôle de modérer les messages mensongers.

Par ailleurs, de nombreux médias proposent désormais des outils pour aider les internautes à vérifier la fiabilité d’une information, par exemple sur le climat. Vous pouvez ainsi utiliser le Decodex (Le Monde) et Faky (RTBF).

 

Lire également nos articles :

L’éducation à l’énergie, un éveil citoyen

Grèves scolaires : une bonne nouvelle pour la citoyenneté et le climat