Comment financer la transition énergétique

Malgré l’urgence climatique, les Etats européens peinent à investir dans la transition. Des économistes proposent dès lors de créer deux outils européens qui permettraient de financer massivement une société bas carbone. Un large mouvement citoyen soutient ce Pacte Finance-Climat.

« Si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé », déclarait en 2009 Hugo Chavez, président du Venezuela, au Sommet climatique des Nations Unis (COP15).

Ce discours a marqué l’opinion publique internationale car, à l’époque, l’Europe avait trouvé et injecté 1.000 milliards € de finance publique pour sauver les banques d’une crise financière internationale.

Et si l’Europe a mobilisé des fonds publics pour sauver un secteur privé – qui spécule allègrement au profit des actionnaires -, pourquoi ne trouverait-elle pas les moyens d’investir dans la stabilisation du climat au profit de tous ?

Interpellés par cette réalité, le climatologue Jean Jouzel et l’économiste Pierre Larrouturou constatent, en 2014, que la Banque Centrale Européenne (BCE) parvient à nouveau à créer 1.000 milliards € qu’elle met à disposition des banques commerciales.

Depuis mi-2015, la BCE a ainsi créé près de 2.500 milliards € dont l’essentiel des liquidités alimente la spéculation financière : « tous les mois, les marchés financiers battent de nouveaux records et le FMI ne cesse de nous mettre en garde contre le risque d’une nouvelle crise financière », expliquent-ils dans cette présentation.

« Pour éviter une nouvelle crise financière et le chaos climatique, il est urgent de dégonfler la spéculation et de donner de nouveaux moyens à la lutte contre le réchauffement climatique », estiment-ils.

C’est ainsi que naît fin 2017 un Appel pour un Pacte Finance-Climat :

« En dirigeant la création monétaire vers l’économie réelle pour qu’elle finance, dans tous les Etats membres, les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables, le Pacte finance Climat propose, une solution pour :

  1. Lutter radicalement contre le dérèglement climatique.
  2. Créer massivement des emplois.
  3. Eviter une nouvelle crise financière en revenant vers l’économie réelle.
  4. Donner un nouveau souffle au projet européen.
  5. Donner un nouvel élan à la coopération entre l’Europe et l’Afrique. »

 

Cet Appel est depuis lors signé par 500 personnalités issues de 12 pays et se voit soutenu par un large mouvement citoyen qui inclut des scientifiques, des économistes, des responsables politiques et des collectivités.

Comment financer ce Pacte Climat sans taxer les citoyens ?

Le groupe d’économistes actifs sur ce Pacte ne souhaitent pas les citoyens et proposent plutôt d’activer deux outils :

Le premier outil consiste à transformer la banque Européenne d’Investissement (BEI) en « Banque européenne du Climat » chargée de fournir aux États membres des prêts à taux zéro qui seront intégralement utilisés pour la transition énergétique.

Un Traité européen donnerait à chaque pays un droit de tirage correspondant à 2 % de son PIB, chaque année, et à taux 0. A titre d’exemples, la France recevrait ainsi chaque année 45 milliards €, l’Allemagne près de 65 milliards € et la Belgique plus de 8 milliards €, pour investir dans leur transition énergétique. Les Etats pourraient ainsi investir dans la transition et rembourser ces prêts grâce aux économies réalisées (l’isolation massive des bâtiments permettra par exemple d’économiser l’énergie de chauffage, principalement fossile et importée).

Le deuxième outil consiste à créer un impôt européen de 5% sur les bénéfices des entreprises (exceptés les PME et artisans), selon leur empreinte carbone.

Les économistes rappellent que, en 40 ans, le taux moyen d’impôt sur les bénéfices a été divisé par 2 en Europe : il est aujourd’hui proche de 20 % alors que, aux Etats-Unis, le taux de l’impôt fédéral sur les bénéfices est stable, depuis plus de 80 ans, à 35 % (mais réduit à 24% par Donald Trump), comme le montre ce graphique :

Même avec un taux limité à 5 %, un impôt européen sur les bénéfices permettrait de dégager chaque année plus de 100 milliards € : une somme qui, au lieu d’enrichir des actionnaires, serait ré-investie dans l’économie réelle et financerait massivement le chantier de la transition énergétique en Europe (baptisé « facteur 4 ») et augmenterait très nettement l’aide aux pays d’Afrique et du pourtour méditerranéen.

Grâce à cet impôt, l’Europe disposerait d’un budget européen de 100 milliards d’investissements par an, à répartir comme suit :

• 40 milliards pour l’Afrique et la Méditerranée, afin de soutenir leur adaptation climatique et leur développement économique, et freiner ainsi la tentation migratoire.

• 10 milliards pour la Recherche et l’Innovation,

• 50 milliards pour cofinancer le chantier européen.

Ce Plan d’Investissement sur 30 ans permettrait d’atteindre une Europe 100% renouvelable d’ici 2050, un objectif réalisable et soutenu par tous les acteurs européens de la transition énergétique.

Selon ces économistes, il en résulterait également une facture divisée par 2 pour les particuliers, les entreprises et les collectivités :

Un ménage ou une enreprise qui souhaite investir dans une rénovation ou un équipement énergétique pourrait ainsi recevoir la moitié de la somme sous forme de chèque-énergie et l’autre moitié sous forme d’un prêt à taux zéro.

 

Le Pacte Finance-Climat table également sur des financements issus de la taxe CO2, de la taxe Tobin sur les transactions financières et de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

Les promoteurs de ce Pacte travaillent désormais à ce que les Etats membres adoptent d’ici 2020 un nouveau Traité européen qui permettrait de mettre la finance au service du climat et de réinsuffler un projet commun à tous les Européens.

A l’approche des élections européennes de mai 2019, tous les citoyens européens sont invités à signer et à diffuser cet Appel pour un Pacte Finance-Climat.

A propos de justice fiscale, lire également notre article « Gilets jaunes » et climat, même combat ?