En province du Luxembourg, un Parlement citoyen Climat s’implique depuis un an dans la politique climatique locale. Présenté à la COP21, ce processus démocratique original stimule désormais d’autres territoires.
L’Accord Climat à Paris fut une réussite diplomatique, associant pour la première fois 196 Etats autour d’objectifs communs pour stabiliser le climat. Cet engagement politique international resterait cependant sans effets si, au niveau local, les citoyens ne s’impliquait pas dans la politique climatique qui concerne leur territoire.
D’où l’intérêt grandissant pour associer à la stratégie « top-down », une indispensable action « bottom-up » impliquant d’emblée l’échelon local et le citoyen. Une approche qui semble déjà avoir fait ses preuves si l’on se réfère aux quelques 6.500 collectivités locales signataires de la Convention des maires, qui ont d’ores et déjà pris des engagements climatiques contraignants – un terme-clef de l’Accord parisien pour les objectifs 2020 et au-delà.
Si le citoyen ne s’implique pas personnellement dès le départ dans une telle transition, quand le fera-t-il ? Ses pratiques quotidiennes vont devoir changer. Et il y consentira d’autant plus volontiers s’il est étroitement associé – via l’une ou l’autre forme de co-décision démocratique – aux nécessaires choix politiques qui l’y conduiront.
C’est ce qui sous-tend l’expérience de Parlement citoyen Climat, menée depuis quelques mois conjointement par la Province de Luxembourg et l’équipe du SEED (Socio-Economy-Environment-Development) de l’Université de Liège.
Objectif : « Alimenter l’action politique en propositions citoyennes neuves et originales afin de soutenir les ambitions environnementales de la Province ».
Cinquante citoyens, tirés au sort, ont débattu durant trois week-ends de cet automne 2015 autour du changement climatique et des moyens d’y faire face à l’échelle du territoire. L’exercice s’est appuyé sur la charte TEPOS (Territoire à énergie positive), adoptée par le Conseil provincial en novembre 2014, et sur des échanges avec les experts chargés de corréler les principes évoqués avec la pratique de terrain.
Le 27 novembre 2015, l’avis du Parlement citoyen a été présenté au Palais provincial du Luxembourg à Arlon. Le texte reflète la richesse et la diversité des opinions ainsi que leur convergence vers quelques axes précis. Il s’adresse en priorité au Conseil provincial du Luxembourg, aux acteurs sociaux et économiques du territoire et à l’ensemble des citoyens qui y résident. Plus largement ce document interpelle toute personne soucieuse de démocratie et sensible aux enjeux climatiques et énergétiques.
Concrètement, le Parlement citoyen espère que ces propositions contribueront à :
- réduire la consommation d’énergie (électricité, eau, déplacements)
- promouvoir les énergies renouvelables
- développer l’économie et l’emploi au niveau local
- allier le confort, le bien-être et le coût pour le citoyen dans la recherche d’un
- juste équilibre
- valoriser et faire un bon usage des ressources locales (bois, chanvre, etc.)
- (re)créer du lien social
Le Parlement citoyen, conscient d’un rôle nouveau dans la politique locale, fait désormais percoler ces propositions auprès des territoires partenaires du réseau RURENER – le réseau européen des collectivités rurales engagées dans une politique de l’énergie au niveau local.
Pierre Stassart (photo), sociologue et directeur du SEED sur le campus ULg d’Arlon, témoigne de ce processus démocratique original.
« En général, les citoyens ‘ordinaires’ ouvrent le débat sur des dimensions que souvent les experts négligent »
Jean Cech(Renouvelle) : Pourquoi avoir choisi le tirage au sort pour sélectionner les citoyens appelés à former ce Parlement climat ?
Pierre Stassart : Notre souci était double. D’une part, éviter le politique « professionnel » au sens traditionnel du terme, avec tout ce que le suppose d’a priori aux yeux du public. Et d’autre part, éviter les profils – globalement de type associatif – qui émergent traditionnellement lors de telles expériences participatives. Le tirage au sort permettait en outre une plus grande diversité, tant au niveau des catégories professionnelles, de la localisation au niveau de la Province, du genre, de l’âge etc. Nous nous étions donné un objectif de 40 personnes. Sachant d’expérience que, dans ce type de démarche, nous pouvions attendre un retour de l’ordre de 2 %, nous avons envoyé un courrier à 2.500 citoyens tirés au sort. 70 candidats se sont proposés de participer à l’expérience, 39 étaient présents lors du premier week-end. Ils étaient encore presque tous en piste à l’issue de l’expérience. Ceci dit, le tirage au sort, en soi, ne garanti jamais ni le succès de l’opération, ni l’absence de biais dans la sélection. Nous avons surtout cherché à y mettre un maximum de rigueur, sans imposer un cadrage trop important.
J.C. : Ce cadrage était pourtant bien réel…
P.S. : Oui. Le premier week-end, nous avons choisi un certain nombre d’experts pour poser le cadre : pour présenter l’approche de Territoire à Energie Positive (TEPOS) adoptée par la Province de Luxembourg, qui propose d’atteindre à l’horizon 2050 un bilan carbone nul en matière énergétique, en mettant notamment l’accent sur le développement local, l’indépendance énergétique et la participation des citoyens. En dehors de cela, nous avions établi une liste d’experts consultables en fonction de choix thématiques à opérer par les citoyens eux-mêmes. Ils en ont assez clairement distingué quatre : l’agriculture et l’alimentation, l’habitat, la mobilité et les politiques publiques locales. Ce qui nous a permis de convoquer les experts concernés pour le second week-end. Cette première sélection par consensus a probablement écarté du débat, j’en suis conscient, certaines thématiques minoritaires que certains participants auraient souhaités explorer.
J.C. : Comme par exemple… ?
P.S. : Notamment celle qui avait été évoquée dès le premier week-end et qui touchait à tout ce qui tournait autour de l’adaptation aux changements climatiques (NDLR : L’adaptation et l’atténuation sont les deux champs d’actions climatiques définis par le GIEC). Le choix de départ de rester dans le cadre de TEPOS faisait de ce débat important une des limites de l’exercice.
J.C. : Et non des moindres, puisque la part d’efforts consacrés à l’adaptation aux changements climatiques a été l’un des grands sujets de discorde lors de la récente COP21 !
P.S. : C’est vrai. Mais vous conviendrez avec moi que la question de l’adaptation concerne de plus près les zones côtières et les pays du sud (NDRL : plus exposés à la montée des eaux notamment), et moins les régions comme la Province de Luxembourg.
J.C. : L’objectif de l’expérience vise à « alimenter l’action politique en propositions citoyennes neuves et originales afin de soutenir les ambitions environnementales de la Province ». Pouvait-on réellement imaginer qu’une poignée de citoyens « ordinaires » puissent, en trois week-ends, faire émerger des pistes nouvelles auxquelles des experts qui s’y consacrent depuis près de 30 ans n’auraient pas pensé ?
P.S. : La littérature sur les expériences participatives montre que lorsque vous amenez des citoyens ‘ordinaires’ à se prononcer sur une question, ils ouvrent en général le débat sur des dimensions que, souvent, les experts négligent. Ils vont par exemple faire des liens entre des problématiques que l’expert spécialisé, du fait précisément de sa spécialisation, n’est pas amener à établir. Comme de lier des questions d’alimentation avec des questions de mobilité. Ils vont aussi souvent mettre en avant des solutions pour lesquelles les valeurs d’équité et d’inclusivité sont prédominantes (NDLR : recherche de solutions équitables et qui évitent l’exclusion sociale), alors que ces valeurs ne sont souvent qu’accessoires pour l’expert, pris dans la complexité de la réflexion qu’il mène.
Or, on se rend compte aujourd’hui que, la question qui se pose à tous en matière de changement climatique, n’est pas tant liée à la quantité de science, mais à la manière de connecter une dynamique sociale qui est la nôtre à celle, techno-scientifique, que propose le GIEC. Les trois week-ends consacrés à la question du climat par le Parlement citoyen, ont permis aux participants de s’engager – tout en développant des compétences – sur des actions à mener concrètement dans le cadre de situations qu’ils peuvent maîtriser eux-mêmes. Ils savent par exemple qu’ils ont très peu de prise sur l’organisation des transports publics dans le cadre d’une Province dont la situation en termes de mobilité est très particulière. Par contre, l’approche via une centrale de mobilité pour leurs besoins individuels leur semble un levier nettement plus approprié. Parce que là, il y a une potentialité sur laquelle ils peuvent agir.
Les participants recherchent des solutions équitables et sans exclusion sociale. Puis ils s’engagent sur des actions qu’ils peuvent maîtriser eux-mêmes.
J.C. : Une dynamique de co-décision a donc été mise en place. Théoriquement, votre rôle officiel s’arrête ici. Comment faire pour valoriser l’expérience acquise ?
P.S. : Cette expérience est une première en Belgique et elle s’est faite dans un cadre politique bien précis. Il y a eu une demande bien circonscrite et un rendu au Conseil Provincial. Notre équipe de recherche s’est engagée à mener à bien cette opération, mais pas au delà. Cette expérience a été présentée à la COP21, via le réseau RURENER, et une discussion méthodologique doit avoir lieu pour savoir dans quelle mesure cette expérience peut en nourrir d’autres. Par ailleurs, les résultats évoqués ne sont pas les nôtres : ils appartiennent aux citoyens concernés. Dès le deuxième week-end, ceux-ci ont évoqué entre eux la possibilité de se regrouper en association. Nous pouvons les y aider s’ils le souhaitent, mais la balle est dans leur camp.
J.C. : Mais pour ce qui vous concerne, en tant qu’organisme de recherche, que pouvez-vous en tirer ?
P.S. : Il est clair qu’à nos yeux, ce type de démarche peut parfaitement être reconduite sur d’autres thématiques. Cela peut devenir un outil de démocratie participative complémentaire à nos processus démocratiques habituels sans s’y substituer. Mais la démarche pose tout une série de questions dont celle de l’adaptation que nous avons déjà évoquée et qui permettrait d’inclure dans le débat ceux que l’on a coutume de désigner comme des climato-sceptiques. Mais aussi, toute la question de proposer une expertise territorialisée. Car les experts sollicités dans le cadre de l’expérience évoquée ici, n’ont pas pu fournir une expertise adaptée au territoire spécifique de la Province de Luxembourg. Certaines caractéristiques propres à ce territoire – faible densité de la population, importance de la forêt, prépondérance de l’activité agricole sur l’activité industrielle, etc. – peuvent avoir une influence déterminante sur ses enjeux territoriaux et les solutions qui seront évoquées, notamment en termes d’agriculture, dans ce contexte particulier.