Claude Turmes est Vice-président et porte-parole pour les questions énergétiques du groupe des Verts au Parlement européen. Il est membre de la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie. Il nous donne ici son point de vue sur l’étude Ecofys menée pour le compte de la Commission européenne.
Jean CECH : Cette étude « intermédiaire » est censée mettre un terme à l’idéologie dans le débat sur les soutiens publics dans le domaine de l’énergie. Quel est votre sentiment ? Le paysage brossé est-il conforme à ce que vous en savez ?
Claude Turmes : Dans les grandes lignes, je considère que ce rapport est plutôt bien fait. Il confirme que les énergies fossiles et le nucléaire, si on les considère sur une période de 25 à 35 ans – qui est en gros celle qu’il faut prendre en considération quand on parle d’énergie –, reçoivent plus de subventions que les énergies renouvelables (voir graphique). En ce sens, le rapport rétabli une vérité face aux discours de certains lobbies hostiles aux renouvelables. Toute la partie sur les « levelized costs of energy »+ (LCOE) – les coûts de production de l’énergie générée par les différentes sources – est également bien faite. Elle permet de comparer des pommes avec des pommes. Dans les nouveaux investissements, si je considère la mise de départ, les coûts sur la durée de vie et les coûts externes, je constate que les progrès technologiques et de coût réalisés sur les dix dernières années dans l’éolien onshore et le photovoltaïque confirment globalement la rentabilité supérieure de ces deux filières. Là, effectivement, les éléments avancés sont conformes à mon expérience. Il en va tout autrement de certains aspects plus spécifiques.
J.C. : Par exemple ?
C.T. : Là où le rapport est à mon avis biaisé, c’est sur la partie nucléaire et notamment dans tout ce qui concerne les coûts associés aux risques et aux déchets. Les paramètres choisis pour chiffrer ces risques en termes financiers se situent systématiquement dans la fourchette basse. Pour être académiquement crédibles, les auteurs de l’étude auraient dû évoquer une fourchette entre une estimation « basse » et une estimation « haute » qui pourrait être 15 ou 20 fois plus élevée. Fukushima apporte sur ce plan des éléments qui nous situent dans la centaine de milliards. Donc bien au-delà de la fourchette basse. On me dit aussi – mais je dois encore le vérifier concrètement – que sur les taux de charge des différentes installations de production on aurait pris dans l’étude certaines libertés qui pourraient fausser les résultats…
J.C. : Comment expliquez-vous ces écarts de rigueur scientifique alors que par ailleurs vous jugez la recherche plutôt correcte sur ce plan ?
C.T. : Je crois qu’il ne faut pas vous faire un dessin. Je sais qu’il y a eu beaucoup d’interventions au niveau de la Commission pour amener les auteurs de l’étude à une certaine « mansuétude » sur certains aspects. La Commission européenne qui finançait cette étude a clairement interféré là où le sujet se révélait particulièrement sensible, notamment sur le nucléaire. J’ai personnellement eu vent de nombreux échanges à ce propos. Mais c’est une constante dans ces domaines.
J.C. : On peut par ailleurs s’étonner de voir des énergies fossiles appelées à disparaître du paysage énergétique récolter autant d’aides publiques voire plus que de nouvelles énergies en phase de décollage… Comment expliquer à ce propos que le charbon par exemple reçoive plus de soutien que la biomasse ?
C.T. : C’est clairement une simple question de lobby. Il faut bien se rappeler que les politiques de l’énergie drainent des centaines de milliards d’euros. Il y a donc des lobbies extrêmement actifs pour en capter un maximum. Il ne faut pas oublier non plus, pour ce qui concerne le charbon, qu’en y touchant on impacte directement d’importants bassins charbonniers et derrière eux de nombreux emplois et de l’activité économique locale. C’est ce qui explique que, même
dans un pays comme l’Allemagne qui aurait les moyens de gérer le déclin des mines via des programmes sociaux, on continue à subsidier massivement le charbon. C’est aussi une forme de résistance au changement. Et elle est féroce.
Dans les discussions sur les changements climatiques, on devra faire face à des résistances farouches appuyées par des lobbies extrêmement déterminés. Des gens très efficaces qui ont les numéros de téléphone personnel de tous les chefs de gouvernement, qui n’hésitent pas à faire du chantage, etc.
J.C. : Dans un tel contexte, quelles retombées politiques voyez-vous à cette étude ?
C.T. : Le plus grand problème dans le marché libre de l’énergie, c’est que le principe du pollueur payeur y est totalement escamoté. On n’a pas le courage de mettre les investisseurs devant leurs responsabilités à ce niveau. Et cela fausse tout. On suggère un marché qui serait fairplay, mais on n’en applique pas les règles en termes de risques. Or, pour qu’un marché fonctionne, il faut une vérité des prix. Cette étude nous donne – mis à part sur les domaines que je viens d’évoquer – les moyens d’y conduire. Nous comptons bien nous battre pour une internalisation aussi proche possible des coûts que révèle l’étude.
Un deuxième point me paraît essentiel au regard des chiffres révélés. C’est de réhabiliter l’efficacité énergétique dont on voit qu’avec 8% seulement des subventions publiques elle constitue le parent pauvre des politiques énergétiques en Europe. On est clairement dans une politique de sous-investissement. Le fameux programme d’investissement de 300 milliards annoncé par la nouvelle Commission Junker devrait tirer les conséquences de cette étude et corriger le tir à ce niveau.
