Chaleur fatale : l’enjeu de sa récupération

En Wallonie, les rejets industriels de chaleur fatale sont estimés à 31 TWh/an. Dont 2,4 TWh seraient récupérables pour une production électrique. A condition de couvrir les risques de sinistrabilité.

Selon les lois de la thermodynamique, la chaleur fatale est l’inévitable chaleur qui accompagne une conversion énergétique ou un process industriel. Longtemps, les thermies rejetées (sous forme liquide ou gazeuse) dans l’atmosphère à la sortie des process ont été considérées comme perdues. L’optimalisation des outils industriels et la recherche de performance énergétique ont progressivement conduit les industries à réduire ces rejets (amélioration des rendements de conversion) ou à les valoriser (chauffage de locaux, séchage, etc.).

Cependant, le gisement de chaleur fatale reste conséquent au sein des petites unités industrielles, qui composent l’essentiel du tissu industriel wallon. Ces énergies fatales sont issues des utilités (compresseurs, pompes à vide, data centers, etc.) ou des process (réacteurs, fours autoclaves, forges, etc.).

Pour ces plus petites entités, on estime en général que 30 à 60% des consommations énergétiques (fossiles pour la plupart) sont transformées en chaleur fatale perdues à l’échappement. Un gaspillage diffus difficile à estimer,  mais que l’on tente aujourd’hui de cerner et d’évaluer afin de mieux cibler les économies potentielles les plus évidentes.

2,4 TWh de chaleur fatale récupérables en Wallonie

Un séminaire organisé en mars 2017 par le cluster TWEED était consacré au potentiel de la filière de la récupération de chaleur (compte-rendu disponible ici). Une récente étude française y était présentée.

Réalisée par le bureau spécialisé Ferest Ing à la demande de l’Ademe, cette étude se fonde sur les dossiers d’installations classées de la Région Haut de France (anciennement Nord-Pas-de-Calais), de l’audit de 170 sites industriels et d’enquêtes de terrain.  Elle révèle pour cette seule Région française un gisement dépassant les 35 TWh ou 3000 ktep.

Parmi les secteurs les plus « touchés » par cette forme de gaspillage énergétique : la production d’énergie, la métallurgie et sidérurgie, la chimie, les incinérateurs d’ordures ménagères et l’agro-alimentaire.

Les plus gros gisements se situent dans des zones de températures inférieures à 90°C (l’étude française inclut les centrales électriques) c-à-d des températures insuffisantes pour obtenir une conversion énergétique intéressante. Le potentiel exploitable concerne les fumées atteignant 150 à 1.500°C, soit près de 7% du gisement. Ce qui représente tout de même un potentiel à valoriser de 2,4 TWh, soit plus de 200 ktep.

Cette évaluation pour la Région française correspond assez bien à ce qui peut être constaté en Wallonie lorsqu’on extrapole les chiffres de l’ICEDD qui, depuis plusieurs années déjà, assure le suivi des consommations énergétiques wallonnes. Ici aussi on retrouve un gisement total d’énergie fatale de l’ordre de 31 TWh dont une perte énergétique récupérable de l’ordre de 2,4 TWh de chaleur fatale à haute température (au-delà de 100°C).

Fig. Estimation du potentiel technique de récupération de la chaleur fatale haute température en Wallonie. Source : Séminaire TWEED, exposé ICEDD – PwC, 14 mars 2017.

Des temps de retour entre 4 et 8 ans

« Récupérable » ? Oui et non. Techniquement, les technologies pour récupérer ces thermies existent et sont parfaitement maîtrisées pour la plupart. L’ennui, c’est que les coûts d’investissement nécessaires sont particulièrement élevés et variables selon les applications concernées. La qualité et la quantité de l’énergie disponible vont déterminer en grande partie la taille et donc le coût des systèmes de récupération de chaleur.

Dans les conditions actuelles de prix (bon marché) de l’énergie, les temps de retour dépassent généralement les deux ans et ne sont donc pas retenu par les conseils d’administration.

A titre d’exemple, récupérer la chaleur fatale pour produire de l’électricité avec la technologie de l’ORC (Organic Rankine Cycle) nécessite des  investissements de 1.500€/kW pour les grosses installations et de 4.500 €/kW pour les plus petites.

Les conclusions du séminaire TWEED sont claires : L’étude de potentiel de déploiement de cette technologie en Wallonie établit, pour récupérer cette la chaleur fatale haute température, des temps de retour entre 4 et 8 ans.

Des temps de retour dissuasifs, au regard des risques industriels liés notamment à l’utilisation (en interne ou en commercialisation extérieure) de l’énergie récupérée, aux défaillances techniques éventuelles et aux prix de l’énergie.

Fig. Potentiel économique de récupération de la chaleur fatale haute température en Wallonie. Exprimé par temps de retour simple (TRS). Source : Séminaire TWEED, exposé ICEDD – PwC, 14 mars 2017.

Un fonds de garantie

Bref, dans les conditions actuelles, le jeu de la récupération des chaleurs fatales, n’en vaudrait pas la chandelle pour une large part des industriels concernés.

D’où la piste actuellement explorée en France visant à créer un fonds assurantiel pour couvrir une partie des risques industriels inhérents à cette forme de récupération d’énergie. L’étude, remise début 2017, porte sur un potentiel théorique de 51 TWh (rejets à plus de 100°C) au niveau national. Elle prend en compte les subsides consentis en France dans le cadre du fonds chaleur et envisage trois cas de figure :

  • La récupération de chaleur et sa valorisation en interne (70% des cas);
  • La récupération de chaleur pour alimenter un réseau de chaleur urbain ;
  • Les solutions d’écologie industrielle entre voisins d’une même zone industrielle.

 

Ses conclusions confirment le faible risque sur le plan technique, mais évaluent la sinistralité potentielle à 10% (un projet sur dix). Cette dernière se situe essentiellement au niveau de la variabilité des productions et/ou des besoins : c’est le cas lorsque par exemple l’un des protagonistes fait défaut et que le réseau urbain ne peut plus être alimenté (suffisamment), ce qui affecte un gisement de 15 TWh pour un montant tournant autour de 780 millions d’euros.

Pour autant que toutes les conditions de viabilité du système soient réunies (remboursements limités au montant des investissements non amortis, voire éventuellement des pertes d’exploitation, versement de royalties pour les projets qui n’ont pas subi de sinistralité, investissement public/privé 50/50,…), l’effet de levier sur les filières de récupération paraît évident.

Lire aussi notre article Les ressources méconnues de la chaleur fatale.