L’Europe a récemment choisi de promouvoir des carburants alternatifs : électricité, hydrogène et gaz naturel. Ceux-ci devront être disponibles sur nos routes d’ici 2025. En Wallonie, l’intercommunale IDETA se lance dans la course pour s’assurer un développement territorial durable. Interview.
Le transport routier est depuis longtemps shooté au pétrole (essence, diesel, LPG, kérosène). Un carburant qui s’annonce de moins en moins disponible. Comment assurer dès lors une transition dans le secteur du transport ? Des carburants alternatifs durables existent mais ne sont pas encore généralisés sur nos routes. Les citoyens hésitent dès lors à acheter les véhicules conçus pour ces carburants. Un véritable cercle vicieux : sans réseau d’approvisionnement homogène, pas de demande pour les modèles automobiles adaptés. Et si leur circulation reste insuffisante, pas d’investissement dans de nouveaux points d’approvisionnement. Logique industrielle oblige.
Pour sortir de ce cercle vicieux, l’Europe a récemment choisi de promouvoir quatre carburants alternatifs : électricité, hydrogène et gaz naturel liquéfié (GNL) ou compressé (GNC). Elle a également imposé un calendrier : les points de ravitaillement devront être opérationnels dans l’ensemble du continent d’ici 10 ans. Enfin, des normes communes devront être respectées pour la conception et l’utilisation desdits carburants (directive 2014/94/UE). Voilà qui change quelque peu la donne…
En Wallonie picarde, l’intercommunale IDETA s’est d’ores et déjà positionnée sur ces nouveaux marchés. Fort de l’effet d’entraînement de sa voisine du Nord-Pas-de-Calais et de son positionnement stratégique sur le réseau autoroutier européen, IDETA et sa filiale énergétique Elsa se sont engouffrés dans la brèche en mettant en place ses premières bornes d’approvisionnement électriques et, en avril dernier, la première pompe de son futur réseau GNC, baptisé ENoRa.
Explication d’Olivier Bontems, Directeur Participations et Energie de IDETA et Administrateur-délégué de Elsa.
« Le gaz naturel est un bon produit de transition »
Jean Cech (Renouvelle) : Qu’est-ce qui amène une intercommunale comme IDETA sur ce terrain industriel et économique ?
Olivier Bontems (IDETA) : Les intercommunales sont, vous le savez, des outils de mutualisation pour les communes. IDETA est, à l’origine, une intercommunale de développement économique qui a pour objectif de mettre en œuvre, pour compte de ses communes associées, des zones d’activité économique de dimension régionale – ce qu’on appelait les « zonings » – et qui, depuis lors, ont évolué dans une perspective surtout environnementale. Or il a été décidé à une certaine époque, pour des raisons de cohérence, que ces intercommunales intègreraient un certain nombre d’autres métiers pour devenir des agences de développement territorial. Cela nous a amené à intégrer une ancienne intercommunale de notre territoire, l’IFHO, chargée du financement des participations au sein du Hainaut occidental. L’objectif étant de contribuer à un développement territorial de qualité. Souvenons-nous qu’à l’origine, les réseaux de distribution énergétique avaient été créés à l’initiative des communes qui restent aujourd’hui, suite à l’évolution du marché, détentrices actives de parts importantes dans ces réseaux. C’est l’IFHO qui en avait la charge. IDETA a donc intégré un secteur « énergie » gérant les participations des communes non seulement dans la distribution et le transport d’énergie, mais également, de fil en aiguille, dans une série d’activités liées au développement et à la promotion des énergies. C’est donc un pari sur le long terme dans une optique de développement durable.
J.C : Cela paraît logique. Mais, en mettant en place le réseau GNC ENoRa que vous venez d’initier sur votre territoire, vous ne vous contentez plus de gérer des participations financières : vous devenez aussi, de facto, des acteurs économiques et industriels à part entière !
O.B. : Le métier d’IDETA reste bien la gestion de participations dans des sociétés – avec un portefeuille qui avoisine aujourd’hui 100 millions € – dont un tiers environ liées aux énergies propres. Dans cet esprit, nous nous sommes d’abord investis dans l’éolien, qui nous semblait l’énergie verte la plus efficiente au niveau du territoire. Avec deux méthodes bien différentes : soit nous prenons des participations dans des projets portés par des tiers, soit nous développons des projets en propre, où nous sommes clairement à la manœuvre avec un ou plusieurs partenaires.
Ce deuxième cas de figure nous a amenés à créer la société anomyme Elsa, dans le souci de séparer clairement l’activité de gestion de participations financières et celle de l’exploitation de sociétés commerciales et industrielles. Avec l’affirmation d’une volonté de déployer un mix énergétique durable. D’où nos projets de valorisation de la biomasse, puis dans la foulée d’injection de biométhane dans le réseau de gaz. Une réflexion qui nous a tout naturellement amenés à l’idée de valoriser aussi le vecteur gaz naturel dans la mobilité durable, ce qui constitue un des objectifs majeurs de notre intercommunale. Pour nous, l’efficacité énergétique des transports est un axe fondamental du développement territorial tant sur le plan environnemental qu’économique. Le projet de réseau de stations GNC y participe pleinement.
J.C. : Vous avez opté pour la formule du gaz naturel compressé et non celle du gaz naturel liquéfié. Cette dernière a pourtant l’avantage de contenir davantage d’énergie pour un même volume de réservoir. Pourquoi ce choix a priori ?
O.B. : Deux éléments ont motivé notre choix. Le premier, c’est l’aspect économique. Aujourd’hui, il est clair que le GNC constitue un modèle qui a à la fois du sens et une rentabilité avérée. Globalement, du point de vue de l’impact territorial, le GNC est aussi plus porteur en termes de pédagogie, puisqu’il implique le citoyen lambda. La Wallonie a un retard considérable à rattraper dans la montée en puissance du vecteur gaz dans le paradigme énergétique par rapport à d’autres pays européens et le reste du monde.
Le deuxième élément fondamental à nos yeux, c’est que le GNC utilise le réseau de distribution de gaz naturel dans lequel nous avons une implication importante. Il s’agit donc d’une optimisation économique qui a sa logique pour notre intercommunale et ses communes associées.
J.C. : Où s’arrête votre métier précisément ? Allez-vous, à terme, devenir des gestionnaires de réseau de stations services au même titre que Texaco ou Shell et entrer en concurrence avec eux ?
O.B. : Notre métier, c’est bien de capter le gaz sur le réseau, de le comprimer, de le stocker et de le livrer à un distributeur, à savoir notre partenaire « pompiste » G&V. C’est ce dernier – qui exploite déjà plus de 160 stations sur la Belgique – qui commercialise le GNC dans la station ENoRa où s’arrêtent les automobilistes pour s’approvisionner. Nous n’avons pas de rapport avec le client final. C’est d’ailleurs G&V qui gère les terminaux de paiement accessibles aux consommateurs. Notre but n’est donc pas de devenir gérant de stations services ou distributeur de carburant. Notre métier, c’est de « produire » le GNC.
J.C. : Ces futures stations ENoRa wallonnes seront-elles polycarburant ?
O.B. : Notre modèle économique privilégié est d’essayer de travailler sur du multicarburants. Parce que, pour favoriser la transition énergétique au niveau de la mobilité, il faut que l’utilisateur sente le moins possible la différence du GNC avec les carburants traditionnels. C’est la plus sûre manière de le banaliser. C’est d’ailleurs aussi la formule adoptée en Italie et en Allemagne où le GNC s’est le mieux implanté et développé.
Pour favoriser la transition, il faut banaliser les carburants alternatifs dans les stations classiques, comme le montre l’expérience allemande et italienne. L’utilisateur doit sentir le moins possible la différence, par exemple du GNC avec les carburants traditionels.
J.C. : Cela dit, vous évoquiez votre volonté de développement durable, mais le gaz naturel reste un carburant fossile…
O.B. : C’est vrai, mais je vous rétorquerai qu’on peut le « verdir » avec du biogaz. Et c’est bien ce que nous visons à terme. Nous considérons, en termes de développement durable, que le gaz naturel est un bon produit… de transition. Aujourd’hui, il est fossile et de provenance étrangère. Demain, il pourrait être local et « vert » via la biométhanisation. Après demain, on pourrait aller vers du « power to gaz » en tant que solution de stockage de l’électricité éolienne par exemple. L’Allemagne va dans ce sens. A notre modeste échelle, c’est aussi ce que nous visons. En attendant, la combustion du gaz reste plus « vertueuse » que celle du pétrole en termes d’émissions de particules fines et de CO2. De plus, nous créons avec le GNC un nouveau débouché pour le gaz naturel dont le réseau doit continuer à couvrir ses charges fixes en dépit du fait que l’énergie qui y transite va diminuant – et c’est tant mieux –, du fait des efforts de performance énergétique dans les bâtiments qui voient leur consommation pour le chauffage réduite. Sur ce plan là aussi, la transition vers une mobilité décarbonée doit s’opérer de manière indolore pour le citoyen et le consommateur. De notre point de vue, le développement durable, ce n’est pas développer à tout crin de nouveaux vecteurs, mais utiliser au mieux les ressources dont nous disposons. Et en tant que gestionnaires de participations publiques, nous voyons le réseau de gaz comme un actif public qu’il convient de continuer à valoriser.
J.C. : Faisons un peu de prospective. Vous avez joué votre rôle d’agence de développement en amorçant la pompe des carburants alternatifs avec le développement, sur votre territoire, d’un réseau GNC. Les années passent, le vecteur gaz carburant s’impose et les investisseurs se précipitent. Que faites-vous en tant qu’intercommunale ? Vous valorisez votre investissement en vous retirant – « mission accomplie » – ou vous affrontez la concurrence ?
O.B. : Comme je vous l’ai dit, nous sommes gestionnaire de participations publiques. Nous nous intéressons aux secteurs monopolistiques comme aux secteurs soumis à la concurrence. Nous avons dans ce contexte deux impératifs et deux métiers. Un, créer un impact sociétal positif. Deux, dès lors que le modèle économique sur lequel nous avons misé tourne, en tirer les bénéfices au profit de nos communes. Nous sommes sur un marché libre. Il n’y a pas de raison que nos communes soient privées des dividendes de leurs investissements. Il n’y a pas d’incompatibilité.