La Commission européenne cherche à imposer un seul système standardisé pour la recharge des voitures électriques. Or les fabricants offrent de nombreuses solutions alternatives. Interview de Peter Van den Bossche, spécialiste des infrastructures de recharge à la VUB ETEC-MOBI.
Jean Cech (Renouvelle) : Comment se situe actuellement la Belgique sur ces matières liées à la mobilité électrique ?
Peter Van den Bossche (VUB ETEC-MOBI) : Elle est incontestablement moins avancée que certains de ses voisins comme les Pays-Bas, où le moindre petit village dispose d’une borne de recharge. Un mouvement s’est cependant amorcé avec la directive AFI sur les infrastructures de ravitaillement. On a intégré le fait que, pour la charge « standard » ou « semi-rapide » de courant alternatif, le type 2 est désormais la norme. Celle-ci est déjà bien introduite en Belgique, contrairement à l’Italie ou à la France.
Pour ce qui concerne la charge rapide, la situation est nettement plus compliquée. La norme internationale prévoit deux solutions et la directive préconise le type Combo. Celui-ci se caractérise par une fiche pour le courant alternatif, avec deux broches supplémentaires pour le courant continu. C’est un système surtout utilisé par les véhicules allemands. Mais de nombreux autres véhicules exploitent des systèmes différents. Les Japonais, par exemple, utilisent une fiche CHAdeMO qui n’est pas compatible. Et un troisième type de charge est présent : une version de type 2 utilisant un courant jusqu’à 63 ampères permettant une charge de 43 kW, donc assez rapide.
Bien que ces différents systèmes ne soient pas préconisés par la directive, on devra bien – pendant un certain temps – se résoudre à les utiliser en parallèle. Beaucoup de chargeurs devront proposer les trois solutions avec trois tableaux et trois fiches différentes.
J.C. : Donc les choix de la directive risquent de se trouver quelque peu mis à mal…
PVdB : Oui. Mais ce n’est pas tout. Une autre solution se présente actuellement via Tesla qui, aux Etats-Unis, a introduit son propre connecteur propriétaire – donc exclusivement Tesla. Là encore, on n’est pas dans la norme préconisée par l’Europe. Mais celle-ci a néanmoins accepté d’ajouter cette nouvelle prise à ses bornes de manière à pouvoir accueillir les véhicules Tesla.
Par ailleurs, Tesla propose une autre solution pour la recharge rapide, où il utilise le même connecteur que pour la charge ordinaire en courant alternatif, mais en permutant les broches de courant alternatif à courant continu. D’autres constructeurs ont également proposé cette idée de bornes commutables. Un concept qui, non seulement n’est pas prévu dans les normes, mais qui suscite également pas mal de réserves au niveau des gestionnaires techniques.
J.C. Quel genre de réserves ?
PVdB : Au niveau de la sécurité notamment. Il existe, par exemple, des risques dans le cas où un contacteur en contact avec le véhicule permettrait à du courant continu d’être injecté dans le réseau alternatif de distribution. Or toutes les protections utilisées pour le courant alternatif ne sont pas forcément en mesure d’interrompre un courant continu. D’où les problèmes de sécurité.
Il y a donc tout un travail à faire au niveau des normes et standards techniques. Mais cela implique aussi qu’on pourrait s’orienter vers des bornes multistandards, ce qui serait de nature à gonfler considérablement les prix au niveau des stations de recharge dans la mesure où il faut tout dédoubler.
J.C. : La directive n’a donc pas vraiment réglé grand-chose finalement…
PVdB : En tout cas, elle ne peut pas faire fi des offres existantes sur le marché et des autres solutions proposées par les marques. Surtout quand elles concernent un nombre important de véhicules. Je vois mal comment on pourrait forcer un constructeur japonais à s’aligner sur des normes européennes. Parce que ce n’est pas seulement une question de broches ou de géométrie. Il ne faut pas oublier que les systèmes de recharge rapide imposent une communication entre le véhicule et la borne pour permettre à la batterie de définir la tension et le courant qu’elle souhaite.
J.C. : Et on n’a pas encore parlé ici des projets de recharge sans fil, c.-à-d. par induction…
PVdB : Là encore, on entre dans un domaine tout à fait particulier. Les travaux de normalisation sont actuellement en cours. Mais, contrairement à ce que bien des gens s’imaginent, on travaille là surtout sur des puissances plus élevées. On n’est pas sur des recharges lentes, mais sur des charges élevées – notamment pour des véhicules lourds, comme les bus. Ce qui implique de petites charges à haute puissance lors des arrêts et même ce qu’on appelle « la charge dynamique », où les véhicules s’alimentent en permanence sur des routes électrifiées.
J.C. : Quid du ravitaillement via le remplacement des batteries ?
PVdB : On y travaille aussi. Une première norme vient d’être publiée au niveau des spécifications techniques. Des initiatives ont été lancées, mais souvent limitées à certaines marques, voire à certains modèles, ce qui ne les rend pas très opérationnelles. On y pense donc surtout pour des flottes captives ou des compagnies de bus. Mais en Chine par exemple, c’est une option très développée.
J.C. : Dans ces conditions, n’est-il pas irréaliste d’élaborer dès maintenant, comme le demande la Commission à travers la directive AFI, une stratégie à moyen et long terme ?
PVdB : L’une des conclusions du projet européen EV-connect.eu – auquel nous avons participé pour définir une feuille de route en faveur d’une transition vers un réseau d’approvisionnement favorable à la mobilité électrique – se prononce en faveur de l’établissement préalable d’un cadastre commun.
De nombreuses bases de données ont déjà été constituées en ce sens par différentes organisations publiques et privées, mais aucune n’est véritablement exhaustive. Se pose aussi très rapidement la question de savoir comment tenir compte du fait que certains propriétaires de voiture électrique ne disposent pas d’un garage ou d’un emplacement privé permettant une recharge. C’est donc en effet très délicat.
J.C. : En Belgique, tout cela ne risque-t-il pas d’aboutir à trois systèmes différents et une infrastructure spécifique par Région ?
PVdB : Ce n’est pas exclu. Mais dans la mesure où les infrastructures seront normalisées, c’est un moindre risque.