Bernard Huberlant, en charge du projet REGEOCITIES pour la Wallonie, nous explique les enjeux de la géothermie de faible profondeur.
De plus en plus, la géothermie de faible profondeur (10 à 400 m sous la surface du sol) apparaît comme une solution énergétique séduisante. Elle présente un potentiel considérable de production de chaleur à basse température et de froid pour les villes, les zones d’activités économiques et les quartiers de demain. Le marché des pompes à chaleur géothermiques se développe avec succès dans des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède (notamment à Stockholm) et dans certaines régions d’Italie. Dans les régions moins avancées d’Europe, cette technologie est souvent confrontée à des obstacles non techniques qui ralentissent voire compromettent son développement. Le projet européen REGEOCITIES vise à les identifier et, si possible, à les éliminer en proposant notamment un cadre commun de bonnes pratiques aux états membres participants. Bernard Huberlant (3E), en charge du projet pour la Wallonie, lève un coin du voile sur la méthode et les enjeux.
Jean CECH (Renouvelle): Abordant le développement parfois difficile de la géothermie de faible profondeur, le projet REGEOCITIES dresse un inventaire des barrières administratives et réglementaires au niveau local et régional. Qu’en est-il chez nous ?
Bernard HUBERLANT (3E, REGEOCITIES): Du fait de la régionalisation des compétences, en matière de développement des énergies renouvelables et d’exploitation du sous-sol, les trois Régions imposent des cadres réglementaires ainsi que des procédures d’autorisation différents. Par ailleurs, les données (notamment cartographiques) du sous-sol ne sont pas forcément disponibles partout ni couplées avec les exigences règlementaires à respecter selon la profondeur et la nature du forage (circuit fermé, ouvert…). La méconnaissance ou la non prise en compte des données de base relatives au potentiel géothermique du sous-sol peu profond et à l’infrastructure souterraine, constitue un frein important au développement de cette technologie dans la mesure où elle favorise un cadre règlementaire « restrictif », tant au niveau des tests de réponse thermique que des conditions d’exploitation des systèmes.
J. C. : Qu’en est-il de la réglementation wallonne ?
B. H. : A ce jour, en termes de procédures d’autorisation pour le forage et l’équipement, la réglementation wallonne établit une distinction entre, d’une part, les puits destinés à recevoir des sondes géothermiques et, d’autre part, celui destiné à une future prise d’eau souterraine. Cette distinction parait souhaitable. De même, la prise d’eau souterraine non potabilisable et non destinée à la consommation humaine fait l’objet d’une classification différente selon la capacité de prise d’eau (par exemple : plus de 10 m³/jour).
Par contre, toute installation prévoyant une recharge ou des essais de recharge artificielle des eaux souterraines (Aquifer Thermal Energy Storage ou ATES) est soumise d’office à une procédure de demande de permis de classe 1 (140 à 170 jours de délai), impliquant une étude d’impact environnemental (EIE). On peut bien sûr choisir de déverser en surface l’eau puisée dans l’aquifère, mais celle-ci est alors considérée comme « eau usée industrielle » et se voit imposer la délivrance d’un permis d’environnement de classe 2 (90 à 120 jours de délai). De même, la mise en place de sondes géothermiques en circuit fermé (Borehole Thermal Energy Storage ou BTES) fait l’objet d’une procédure de permis unique (90 à 120 jours) impliquant la délivrance d’un permis d’environnement et d’un permis d’urbanisme.
A ce jour, seuls les échangeurs géothermiques horizontaux sont dispensés de demande de permis.
Dans ces conditions, l’opportunité de recourir à la géothermie de faible profondeur pour chauffer et/ou refroidir un bâtiment, tend à se transformer en risque pour le projet, ce qui pousse de nombreux développeurs et de prescripteurs à y renoncer.
A gauche: Echangeurs géothermiques horizontaux. A droite: Sondes géothermiques verticales, en circuit fermé (BTES) et ouvert (ATES). Source: REGEOCITIES.
J. C. : Quelle réponse apporter, selon vous, à cette réalité ?
B. H. : Il faut, à mon sens, une réponse en trois temps. Premièrement, les instances régionales devraient renforcer la dimension « énergétique » des projets géothermiques, actuellement traités quasi exclusivement sous l’angle de la pollution des sols et de la protection des eaux souterraines et pas suffisamment sous celui du bénéfice environnemental, en termes d’émissions de CO2 évitées par exemple. Deuxièmement, il faut d’urgence pallier au manque d’information des pouvoirs locaux quant aux tenants et aboutissants de ce type de projet, notamment dans le cadre du développement de bâtiments et sites « quasi zéro-énergie ». Enfin, troisièmement, il faut améliorer les connaissances et les compétences de certains développeurs de projets, bureaux d’études, architectes et installateurs. Celles-ci sont parfois insuffisantes, ce qui n’incite pas les autorités publiques à faire preuve de plus de souplesse dans l’octroi de permis.
J. C. : C’est très différent de ce qui se passe chez nos voisins flamands ?
B. H. : Oui, et l’expérience technologique développée par les Pays-Bas notamment, y est pour beaucoup. Tous les systèmes géothermiques en opération y sont répertoriés dans des bases de données extrêmement complètes. Depuis quelques années, on observe un transfert de connaissances vers la Flandre, qui a adapté sa réglementation de manière à stimuler davantage cette technologie, grâce au projet SmartGeotherm. Une cartographie interactive du potentiel géothermique de faible profondeur, couplée aux exigences règlementaires selon la zone et/ou la profondeur de forage, se met en place avec le soutien du CSTC et de l’IWT (NDLR: institut de promotion et de soutien à l’innovation technologique en Flandre). Ce qui permet à tout porteur de projet potentiel de se faire rapidement une première idée des conditions locales d’implantation de sondes géothermiques à un endroit déterminé.
J. C. : Une approche qu’on pourrait transposer telle quelle en Wallonie ?
B. H. : Je ne le crois pas. Les conditions de terrain diffèrent trop entre le nord et le sud du pays. Par contre, les connaissances du sous-sol et des installations géothermiques en exploitation, accumulées en amont des projets, mériteraient d’être améliorées et compilées dans une base de données cartographique interactive semblable à celle développée en Flandre. à compléter par une procédure en ligne de déclaration de forage géothermique, à l’instar du e-service mis en place par la ville de Stockholm pour les installations à forage unique en circuit fermé. Ces informations permettraient d’accélérer et de simplifier la procédure de demande de permis pour les pompes à chaleur géothermiques de faible puissance.
J C : Qu’en est-il dans les pays où la géothermie s’est largement implantée ?
B. H. : Dans les pays nordiques, tels la Suède ou le Danemark, où le potentiel géothermique de surface est largement exploité, on constate que la plupart des forages et installations géothermiques à caractère « résidentiel » ne nécessitent qu’une simple déclaration, souvent par Internet, aux pouvoirs locaux. Ceux-ci ont un délai maximum d’un mois pour demander un complément d’information ou faire état de considérations qui seraient défavorables. On observe aussi que l’ensemble des données relatives aux systèmes géothermiques en opération sont centralisées dans des bases de données accessibles aux différents services publics concernés par l’installation d’un forage. Cette circulation de l’information permet aux agents locaux qui appliquent les procédures de se prononcer rapidement et en connaissance de cause sur les demandes d’autorisation.
J. C. : Une telle approche suppose donc chez nous une véritable évolution des mentalités, notamment au niveau des administrations régionales et locales. Que prévoit le projet REGEOCITIES, pour accompagner cette évolution ?
B. H. : REGEOCITIES prévoit un important travail de formation et d’information des pouvoirs publics locaux, ainsi que la réalisation d’un cadre de bonnes pratiques communes en matière de réglementation des installations géothermiques de faible profondeur. Ce programme viendra utilement compléter le dispositif de formation certifiante des concepteurs et installateurs de PAC géothermiques et, le cas échéant, de certification des foreurs, à l’étude en Wallonie.
Contexte
Le projet REGEOCITIES doit contribuer à atteindre les objectifs des Plans d’action nationaux en faveur des énergies renouvelables (NREAP) pour 2020, dans lesquels certains pays ont fixés des objectifs ambitieux en matière de géothermie superficielle (Shallow Geothermal – SGE). Le projet vise spécifiquement à identifier et à supprimer les barrières administratives et réglementaires à l’implantation des systèmes géothermiques au niveau local et régional.