Axelle Pollet (ELIA): « Il faut mettre le consommateur au centre du débat »

Invités par ELIA, les acteurs professionnels de l'énergie se sont concertés pour définir une vision commune de notre transition énergétique. Une démarche qui a débouché, à la fin du printemps 2014, sur un texte intitulé « Fondation pour un Pacte énergétique ». Axelle Pollet, porte-parole d’ELIA, nous explique les enjeux et les suites à donner à cette démarche.

En septembre 2013, ELIA, gestionnaire du réseau de transport (GRT) en charge de veiller à l’équilibre du réseau électrique belge entre la production et la consommation , proposait un vaste travail de concertations des acteurs professionnels – industriels, opérateur, société civile, syndicats, etc. – pour définir de commun accord une vision commune de notre avenir énergétique. Objectif : déboucher sur un véritable Pacte énergétique susceptible d’obtenir l’assentiment et la collaboration de l’ensemble des acteurs concertés. Une démarche qui a débouché, à la fin du printemps 2014, sur un texte issu des échanges entre les personnes impliquées dans le processus sous le titre « Fondation pour un Pacte énergétique ». Y sont décrits un ensemble de mesures et de principes qui, bénéficiant d’un soutien constant des autorités publiques, devraient nous mener vers une transition énergétique équilibrée et équitable fondée sur un mix énergétique cohérent et réaliste. Reste aux autorités de la nouvelle législature à donner mandat à celui qui sera chargé de lui donner sa forme définitive sur le moyen et long terme. Explications d’Axelle Pollet, porte-parole d’ELIA.

Jean Cech (Renouvelle): Pourquoi parler de « Pacte » ? Le terme laisse penser à une volonté de pacification et d’engagement sur l’honneur. C’est de la comm’ ?

Axelle Pollet (Elia): L’idée est d’arriver à un consensus entre les différentes parties intéressées par la question, mais qui ont forcément des visions parfois différentes sinon antagonistes. Le terme « pacte » nous paraissait a priori plus engageant au sens premier du terme que « note » ou « réflexion ». Le système électrique dans son ensemble évolue fondamentalement et on voit ensemble, avec des interlocuteurs intéressés mais qui ont par essence des horizons différents – politiques, industriels, ONG, … – ce qu’il y a lieu de faire pour assurer cette transition le mieux possible et gérer intelligemment les difficultés à affronter. Cela en tenant compte de l’arrivée de nouveaux partenaires et de règles de fonctionnement différentes. On quitte un système qu’on connaît bien et dont on a bien perçu les limites pour aller vers un autre qui pose lui-même d’emblée beaucoup de questions.

J.C. : On est allé au-delà de la discussion polie ?

A.P. : Oui. On a senti bien plus qu’une volonté de ne froisser personne. L’idée que chacun allait devoir se mouiller un peu sans se retrancher systématiquement sur des principes ou des dogmes intangibles. L’urgence n’échappait à personne : il fallait revenir à l’essentiel y compris dans les timings envisagés. Suite à ces différentes rencontres, un comité d’experts a rédigé un texte sur base des apports des différents participants.

Ce texte n’est pas encore un Pacte abouti. Il se découpe selon des thèmes clés comme l’engagement du consommateur, la garantie de la sécurité d’approvisionnement, la protection de l’environnement et les financements publics. C’est le premier état d’une réflexion à partir de laquelle il va falloir travailler à des actions concrètes qui restent à imaginer. Le moment était le bon, il fallait arriver avant que les accords de gouvernements (régionaux et fédéral, NDLR) ne soient conclus. L’appel est désormais lancé aux futurs gouvernements d’organiser la suite et qu’un mandat soit donné pour continuer. Sans oublier que nous devons coordonner notre choix de politique énergétique avec l’Europe qui impose des objectifs.

J.C. : Une des pistes évoquées se situe au niveau de la gestion de la demande des consommateurs résidentiels et tertiaires… Il y aurait là, entend-t-on dire, un potentiel important…

A.P. : Oui. Nous sommes, quoi qu’on fasse, dans une évolution du parc de production – sortie progressive du nucléaire, intégration du renouvelable – qui va forcément amener un changement de comportement du consommateur.

D’une manière ou d’une autre, celui-ci va être amené à consommer autrement. De préférence au moment où l’énergie est produite et, quand celle-ci commence à faire défaut, de manière plus efficiente. C’est un des axes essentiels du Pacte énergétique : il faut mettre le consommateur au centre du débat. Actuellement, il ne voit pas clairement l’impact de sa consommation sur le système et surtout il ne voit pas sur sa facture l’éventuel impact positif de son comportement. Bien sûr, il payera moins s’il consomme moins, mais ce sera vrai quel que soit le moment choisi pour prélever ses kWh. La tarification doit donc se doter d’une certaine pédagogie pour le pousser dans le bon sens.

J.C. : Un potentiel théoriquement important donc. Mais à quel point ?

A.P. : Pour l’évaluer, il faudra amener le secteur – producteurs, fournisseurs, distributeurs – à une plus grande transparence, de manière à évaluer les marges disponibles qui ne sont pas forcément identifiables dans le détail au sein du système actuel avec des compteurs qui tournent à l’envers, des prix de marché qui évoluent en permanence, etc. Il faut donc que toute la chaîne se mobilise pour déterminer les politiques tarifaires les plus pertinentes et les plus incitatives pour que le système fonctionne plus efficacement et génère le moins de frais dans la gestion du réseau. Cela fonctionne déjà parfaitement dans certains pays comme le Danemark. Mais cela reste globalement à inventer dans notre système de fonctionnement. Cette innovation est en chemin, mais elle aura un coût dans la mesure où cela suppose d’investir à différents niveaux. La volonté de faciliter le débat est au coeur de la démarche initiée par Elia.

J.C. : Il y aura donc un intense travail de pédagogie à faire pour que les gens comprennent que c’est pour aller vers un mieux… ?

A.P. : Oui. Et ce sera sans doute un travail très délicat dans la mesure où dans le même temps on va sans doute devoir demander au consommateur de reconsidérer son droit inconditionnel à l’énergie. Parce qu’il a oublié que, quand il prélève des kWh sur le réseau, il y a quelque part une éolienne, un panneau photovoltaïque ou une unité de production conventionnelle qui doit être sollicitée. Comme pour l’eau, ce lien-là entre le prélèvement et la production n’est plus perçu. Le consommateur n’y a pas été préparé et il reçoit les informations qui circulent aujourd’hui – les centrales qui ferment, les plans d’urgence, etc. – comme une douche froide.

Pacte énergétique

Les parties prenantes du Pacte énergétique, initié par Elia, se sont accordé sur une liste d’actions nécessaires pour garantir une politique énergétique sûre, durable et compétitive dans les prochaines années :

  1. Jouer un rôle de premier plan à l’échelle européenne
  2. Développer et communiquer une stratégie « au-delà de 2020 »
  3. Lutter contre le changement climatique
  4. Stimuler la recherche et le développement
  5. Accroître l’efficacité énergétique
  6. Engager le consommateur et encourager la gestion de la demande
  7. Établir une facture énergétique transparente reflétant les coûts
  8. Créer un environnement de marché au fonctionnement efficace
  9. Faciliter les projets d’infrastructure
  10. Offrir une protection adéquate aux consommateurs vulnérables