Les éoliennes s’adaptent aux oiseaux et chauves-souris

Les projets éoliens se doivent de protéger l’avifaune et les chauves-souris et éviter les collisions fatales. Les éoliennes sont désormais équipées de modules spécifiques ou de caméras qui arrêtent automatiquement la rotation des pales pour laisser passer certaines espèces. Interview.

Depuis l’essor de l’éolien en 2000, la filière et les autorités publiques wallonnes s’efforcent de faire cohabiter harmonieusement les éoliennes et les espèces qui survolent la Wallonie.

Au début, les associations environnementales s’inquiétaient de ces nouvelles constructions sur le territoire : les oiseaux et chauves-souris allaient-ils massivement se tuer sur les mâts et pales qui s’érigeaient dans nos paysages ? Tandis que les opposants éoliens « par principe » agitaient les esprits par des rumeurs : « Les éoliennes sont des hachoirs à oiseaux », etc.

Aujourd’hui, avec les défis climatiques, le débat devient plus raisonné : Comment intégrer ces productions renouvelables et en même temps protéger la biodiversité locale ?

Renouvelle a voulu en savoir plus sur cette évolution. Interview de Johanna D’Hernoncourt (photo ci-dessous), Facilitatrice Electricité renouvelable (Service Public de Wallonie).

Christophe Haveaux (Renouvelle) : Quelles sont les mesures prises aujourd’hui par le secteur éolien en Wallonie pour protéger les oiseaux et chauves-souris ?

Johanna D’Hernoncourt (Facilitatrice E-SER) : Chaque projet éolien doit mener une étude d’incidences préalable, qui implique notamment des comptages d’espèces bien précises, à différents moments de la journée et de l’année. Pour les oiseaux, des comptages se font par exemple aux périodes de nidification, de sortie des oisillons, de migration, etc. Pour les chauves-souris, on se promène avec un récepteur d’ultrasons en soirée et la nuit. On peut également ériger un mât de mesure pour assurer un relevé continu sur une saison. Selon le spectre observé, on peut se faire une idée de la présence d’espèces spécifiques à cet endroit-là. Un protocole, repris dans le Cadre de référence éolien, précise le nombre de comptage, les périodes de relevés selon la localisation et les espèces présentes.

Sur base de cette étude d’incidences, le bureau d’études fait état des impacts possibles du projet éolien sur ces espèces et de mesures à mettre en œuvre pour intégrer au mieux le parc éolien dans son environnement. Pour cela, il utilise une « hiérarchie de compensation » qui dresse les priorités.

C.H. : Quelles sont ces priorités ?

J.D’H. : En premier lieu, on doit éviter les collisions. Le développeur éolien pourrait ainsi être amené à construire son éolienne plus loin, sur un site moins fréquenté ou à imaginer des alternatives techniques ou de phasage permettant de supprimer l’impact – par exemple programmer la phase chantier en dehors des périodes de nidification.

En deuxième lieu, si des collisions restent possibles, on peut envisager des mesures d’atténuation : il s’agit de mesures destinées à réduire les effets indésirables du projet éolien sur la biodiversité – par exemple quand l’impact est limité à certaines périodes de l’année comme les migrations.

Enfin, des mesures de compensation sont envisagées. Il s’agit d’actions positives pour restaurer les caractéristiques biologiques du milieu et favoriser le développement des populations de certaines espèces. Les mesures de compensation visent à contrebalancer les pertes de surface, de qualité des habitats et les pertes de populations qui pourraient résulter de l’exploitation des éoliennes.

Il s’agit par exemple de recréer une biodiversité locale à distance des éoliennes pour y attirer l’avifaune. Il pourra ainsi planter des haies, mettre une parcelle en friche, créer une mare, prévoir une fauche tardive, … Cette dimension a fortement augmenté ces dernières années : pour chaque projet éolien, plusieurs dizaines d’hectares sont désormais affectés à la biodiversité. Les ratios pratiqués dans les permis vont généralement de 1 à 3 (3 ha de compensation pour 1 ha impacté par l’éolien), en considérant qu’il faut un certain temps pour que l’habitat reconstitué remplisse pleinement son rôle.

Si bien que certaines zones du territoire wallon se retrouvent avec une biodiversité locale plus riche après l’installation d’un parc éolien qu’avant. La Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux a d’ailleurs publié une enquête intitulée L’incroyable attractivité des zones compensatoires implantées en Hesbaye.

C.H. : Comment protège-t-on actuellement les espèces sensibles comme le Milan royal ?

J.D’H. : Précisons d’abord que beaucoup d’oiseaux sont effarouchés par les éoliennes et ne s’en approchent donc pas. D’autres, comme la plupart des passereaux, ne s’aventurent pas bien haut et leurs déplacements ne se font jamais à hauteur du rotor des éoliennes qui tourne bien au-dessus de la cime des arbres. Par contre, certaines espèces comme le Milan royal, ne perçoivent pas l’éolienne en rotation comme un danger et risquent donc d’entrer en collision.

La connaissance sur le comportement des oiseaux et des chauves-souris à proximité des éoliennes a fortement évolué ces dernières années. L’administration wallonne (DNF) a dressé une liste des espèces sensibles, vulnérables et à protéger.

Pour chaque projet éolien, les décideurs wallons tiennent dès lors compte, lors de l’analyse de la demande de permis, de la présence – ou non – de ces espèces. Certains projets sont refusés sur ce constat. Ils peuvent également être autorisés, à condition de mettre en place certaines mesures d’atténuation ou de compensation.

C.H. : La filière éolienne se montre-t-elle volontaire ou réticente face à ces mesures environnementales ?

J.D’H. : Le Département Nature et Forêt (SPW DGO3) est en passe de publier un document de synthèse qui servira de référence aux bureaux d’études pour objectiver les mesures environnementales à mettre en place en fonction de la présence de certaines espèces. Le secteur a montré de l’ouverture dans le cadre de la rédaction concertée de ce document.

Pour chaque projet, le développeur éolien va aujourd’hui à la rencontre des agriculteurs locaux pour mettre en œuvre les mesures agro-environnementales de compensation : prévoir une haie, une mare, une fauche tardive, …

Le Gouvernement wallon annonce dans sa Pax eolienica la création d’un « Fonds Biodiversité » alimenté par des développeurs éoliens qui permettrait de gérer directement ces mesures, comme une réserve de terres dans lesquelles les développeurs peuvent financer leurs projets de compensation (« banque d’habitats ») ou encore pour financer des projets de restauration de la biodiversité. Ce serait plus logique et cohérent pour la restauration de la biodiversité à l’échelon régional, étant donné qu’on peut alors travailler sur des zones de compensation moins fragmentées et recréer des maillages écologiques.

C.H. : La filière éolienne développe également des outils spécifiques. Comment fonctionne par exemple le module Chirotech, qui arrête automatiquement la rotation des pales lors des passages de chauves-souris ?

J.D’H. : Il s’agit d’un petit module couplé à la turbine et qui mesure localement la température, l’humidité et la vitesse du vent, à tout moment de la journée et de l’année. En effet, les chauves-souris se déplacent d’avril à octobre, au crépuscule et tôt matin, s’il n’y a pas de pluie ou de vent fort. Si le module repère des conditions favorables au déplacement de chauves-souris, il arrêtera automatiquement la rotation de l’éolienne afin de les laisser circuler en toute sécurité.

Principe de fonctionnement du module Chirotech, développé par l’entreprise Biotope.

Pour le développeur éolien, la mise en place de ce module d’atténuation des impacts représente une petite perte de production d’électricité : de l’ordre de 1 % par an. Mais on évite ainsi plus de 95% de contact avec les chauves-souris.

Ce module équipe désormais les éoliennes qui sont implantées dans des zones où la population de chauve-souris a été identifiée comme sensible dans l’étude d’incidences.

Il est également possible de suive un protocole de bridage standardisé déterminé sur base d’une analyse multicritère des conditions atmosphériques. En principe, ce protocole permet d’éviter 95% des contacts et limite la perte de productible à moins de 2.5%.

© Hubert Lagrange / Biotope

C.H. : Existe-t-il un outil similaire pour protéger les oiseaux ?

J.D’H. : Oui : le DT Bird. Il s’agit d’une caméra qui détecte les oiseaux qui rentrent dans la zone de collision et coupe automatiquement l’éolienne. Il est utilisé notamment dans le sud de l’Espagne, car la région se trouve sur un couloir de migration européenne. La question se pose notamment au niveau du détroit de Gibraltar, très fréquenté par les oiseaux migrateurs mais aussi très venteux et donc très équipé en éoliennes.

En Wallonie, cet outil doit encore être testé et être validé en termes de résultats pour les espèces sensibles.

Il pourrait être utilisé pour certaines espèces sensibles comme le Milan royal. La coopérative Courant d’air propose de réaliser une étude sur le DT Bird et de tester son efficacité sur le Milan royal, pour son projet de Amel-Bullange.

Le DT Bird détecte les oiseaux et coupe automatiquement la rotation des pales.

C.H. : Comment se positionnent aujourd’hui les associations environnementales vis-à-vis du développement éolien ?

J.D’H. : Le débat est moins passionnel qu’au début mais la question reste sensible. L’association Inter-Environnement Wallonie, par exemple, comprend très bien les enjeux de la transition vers un système énergétique 100% renouvelables et décarboné, afin de s’attaquer aux causes du réchauffement climatique. Elle a entamé avec ses membres un travail de fonds, avec des conseils associatifs réguliers destinés à aboutir, via des processus d’intelligence collective, à la mise à jour de sa position éolienne.

L’association Natagora, quant à elle, est très attachée à sa mission de la protection de la nature et n’hésite pas à aller en recours contre des projets éoliens si elle estime qu’il y a risque d’impact sur l’avifaune ou qu’elle considère que l’impact sur la biodiversité n’est pas suffisamment étudié. Elle souhaiterait que le gouvernement wallon définisse des zones de refuge pour la biodiversité dépourvues d’éoliennes, auquel cas elle pourrait accepter le développement éolien ailleurs en Wallonie.

Il faut pourtant constater que le secteur éolien fait beaucoup d’effort pour limiter son impact environnemental. D’autres secteurs économiques causent autant ou davantage de dommages sur la biodiversité et ne se montrent pas aussi concernés.

Et de manière plus générale, n’oublions pas que le développement éolien permettra à la Wallonie de sortir progressivement d’une production d’énergie conventionnelle qui est actuellement encore fortement émettrice de CO2. Or ce gaz à effet de serre est vecteur de changement climatique, qui aura selon toute vraisemblance un impact majeur sur la biodiversité.